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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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femme morte prononcer la phrase, une phrase à elle, qu'il reconnaissait. Et c'était<strong>com</strong>me une résurrection, il retrouvait chez Denise le bon sens, le juste équilibre decelle qu'il avait perdue, jusqu'à la voix douce, avare de paroles inutiles. Il en restafrappé, plus triste encore.- Vous savez que je vous appartiens, murmura-t-il pour conclure. Faites de moi cequ'il vous plaira.Alors, elle reprit avec gaieté :- C'est cela, monsieur. L'avis d'une femme, si humble qu'elle soit, est toujours utile àécouter, quand elle a un peu d'intelligence... Je ne ferai de vous qu'un brave homme,allez! si vous vous remettez entre mes mains.Elle plaisantait, de son air simple qui avait tant de charme.Il eut à son tour un faible sourire, il la reconduisit jusqu'à la porte, <strong>com</strong>me une dame.Le lendemain, Denise était nommée première. La direction avait dédoublé le rayon <strong>des</strong>robes et costumes, en créant spécialement en sa faveur un rayon de costumes pourenfants, qui fut installé près du <strong>com</strong>ptoir <strong>des</strong> confections. Depuis le renvoi de son fils,Mme <strong>Au</strong>rélie tremblait, car elle sentait ces messieurs devenir froids, et elle voyait dejour en jour grandir la puissance de la jeune fille. N'allait-on pas la sacrifier à cettedernière, en profitant d'un prétexte quelconque ? Son masque d'empereur soufflé degraisse semblait avoir maigri de la honte qui entachait maintenant la dynastie <strong>des</strong>Lhomme : et elle affectait de s'en aller chaque soir au bras de son mari, rapprochéstous deux par l'infortune, <strong>com</strong>prenant que le mal venait de la débandade de leurintérieur ; tandis que le pauvre homme, plus affecté qu'elle, dans la peur maladivequ'on ne le soupçonnât lui-même de vol, <strong>com</strong>ptait deux fois les recettes, bruyamment,en faisant avec son mauvais bras de véritables miracles.<strong>Au</strong>ssi, lorsqu'elle vit Denise passer première aux costumes pour enfants, éprouva-telleune joie si vive, qu'elle afficha à l'égard de celle-ci les sentiments les plusaffectueux. C'était bien beau de ne pas lui avoir pris sa place. Et elle la <strong>com</strong>blaitd'amitiés, la traitait désormais en égale, allait causer souvent avec elle, dans. le rayonvoisin, d'un air d'apparat, <strong>com</strong>me une reine mère rendant visite à une jeune reine.Du reste, Denise était maintenant au sommet. Sa nomination de première avait abattuautour d'elle les dernières résistances. Si l'on clabaudait toujours, par cettedémangeaison de langue qui ravage toute réunion d'hommes et de femmes, ons'inclinait très bas, jusqu'à terre. Marguerite, passée seconde aux confections, serépandait en éloges. Clara elle-même, travaillée d'un sourd respect en face de cettefortune dont elle était incapable, avait plié la tête. Mais la victoire de Denise était plus<strong>com</strong>plète encore sur ces messieurs, sur Jouve qui ne lui parlait à présent que courbéen deux, sur Hutin pris d'inquiétude en sentait craquer sa situation, sur Bourdondeenfin réduit à l'impuissance. Quand ce dernier l'avait vue sortir du cabinet de ladirection, souriante, de son air tranquille, et que le lendemain le directeur avait exigédu conseil la création du nouveau <strong>com</strong>ptoir, il s'était incliné, vaincu sous la terreursacrée de la femme. Toujours il avait cédé ainsi devant la grâce de Mouret, il lereconnaissait pour son maître, malgré les fuites du génie et les coups de coeurimbéciles. Cette fois, la femme était la plus forte, et il attendait d'être emporté dans ledésastre.Cependant, Denise avait le triomphe paisible et charmant.Elle était touchée de ces marques de considération, elle voulait y voir une sympathiepour la misère de ses débuts et le succès final de son long courage. <strong>Au</strong>ssi accueillaitelleavec une joie rieuse les moindres témoignages d'amitié, ce qui la fit réellementaimer de quelques-uns, tellement elle était douce et accueillante, toujours prête àdonner son coeur. Elle ne montra une invincible répulsion que pour Clara, car elleavait appris que cette fille s'était amusée, <strong>com</strong>me elle en annonçait en plaisantant leprojet, à mener un soir Colomban chez elle ; et le <strong>com</strong>mis, emporté par sa passionenfin satisfaite, découchait maintenant, tandis que la triste Geneviève agonisait. On encausait au <strong>Bonheur</strong>, on trouvait l'aventure drôle.191

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