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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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- Tu vas trop fort, petite mère. Alors elle s'assit sur un banc : et, <strong>com</strong>me il était las,l'enfant s'endormit en travers de ses genoux. Elle le tenait, le serrait contre sa poitrinede vierge, les yeux perdus au fond <strong>des</strong> ténèbres. Lorsque, une heure plus tard, ellerevint doucement avec lui rue de la Michodière, elle avait son tranquille visage de filleraisonnable.- Tonnerre de Dieu ! lui cria Bourras, du plus loin qu'il l'aperçut, le coup est fait...Cette canaille de Mouret vient d'acheter ma maison.Il était hors de lui, il se battait tout seul, au milieu de la boutique, avec <strong>des</strong> gestes sidésordonnés, qu'il menaçait d'enfoncer les vitrines.- Ah ! la crapule !... C'est le fruitier qui m'écrit. Et vous ne savez pas <strong>com</strong>bien il l'avendue, ma maison ? cent cinquante mille francs, quatre fois ce qu'elle vaut ! Encoreun joli voleur, celui-là !... Imaginez-vous qu'il a prétexté mes embellissements ; oui, ila fait valoir que la maison venait d'être remise à neuf... Est-ce qu'il n'auront pasbientôt fini de se ficher de moi ?Cette idée que son argent, dépensé en badigeon et en peinture, avait pu profiter aufruitier, l'exaspérait. Et, maintenant, voilà Mouret qui devenait son propriétaire :c'était à lui qu'il devrait payer ! c'était chez lui, chez ce concurrent abhorré, qu'illogerait désormais ! Une telle pensée achevait de le soulever de fureur.- Je les entendais bien trouer le mur... A cette heure, ils sont ici, c'est <strong>com</strong>me s'ilsmangeaient dans mon assiette !Et, de son poing abattu sur le <strong>com</strong>ptoir, il secouait la boutique, il faisait danser lesparapluies et les ombrelles.Denise, étourdie, n'avait pu placer un mot. Elle restait immobile, attendant la fin de lacrise ; pendant que Pépé, très las, s'endormait sur une chaise. Enfin, quand Bourrasse calma un peu, elle résolut de faire la <strong>com</strong>mission de Mouret ; sans doute, levieillard était irrité, mais l'excès même de sa colère, l'impasse où il se trouvait,pouvaient déterminer une acceptation brusque.- Justement, j'ai rencontré quelqu'un, <strong>com</strong>mença-t-elle. Oui, une personne du<strong>Bonheur</strong>, et très bien informée... Il paraît que, demain, on vous offrira quatre-vingtmille francs...Il l'interrompit d'un éclat de voix terrible :- Quatre-vingt mille francs ! quatre-vingt mille francs !... Pas pour un million,maintenant !Elle voulut le raisonner. Mais la porte de la boutique s'ouvrit, et elle recula tout d'uncoup, muette et pâle. C'était l'onde Baudu, avec sa face jaune, l'air vieilli. Bourrassaisit les boutons du paletot de son voisin, lui cria dans le visage, sans le laisser direun mot, fouetté par sa présence :- Savez-vous ce qu'ils ont le toupet de m'offrir ? quatre-vingt mille francs ! Ils en sontlà, les bandits ! ils croient que je vais me vendre <strong>com</strong>me une fille... Ah ! ils ont achetéla maison, et ils pensent me tenir ! Eh bien, c'est fini, ils ne l'auront pas! J'aurais cédépeut-être, mais puisqu'elle est à eux, qu'ils essayent donc de la prendre !- Alors, la nouvelle est vraie ? dit Baudu de sa voix lente.On me l'avait affirmé, je venais pour savoir.- Quatre-vingt mille francs ! répétait Bourras. Pourquoi pas cent mille? C'est tout cetargent qui m'indigne. Est-ce qu'ils croient qu'ils me feraient <strong>com</strong>mettre unecoquinerie, avec leur argent?... Ils ne l'auront pas, tonnerre de Dieu! Jamais, jamais,entendez-vous !Denise sortit de son silence, pour dire de son air calme :- Ils l'auront dans neuf ans, quand votre bail sera fini.Et, malgré la présence de son oncle, elle conjura le vieillard d'accepter. La luttedevenait impossible, il se battait contre une force supérieure, il ne pouvait, sansdémence, refuser la fortune qui se présentait. Mais, lui, répondait toujours non. Dansneuf ans, il espérait bien être mort, pour ne pas voir ça.112

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