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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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son <strong>com</strong>ptoir était fait, allait attendre l'autre au café Saint-Roch, rue Saint-Roch, unpetit café où se réunissaient d'habitude les <strong>com</strong>mis du <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, braillantet buvant, jouant aux cartes dans la fumée <strong>des</strong> pipes. Souvent, ils restaient là, nepartaient que vers une heure, lorsque le maître de l'établissement, fatigué, les jetaitdehors. D'ailleurs, depuis un mois, ils passaient la soirée trois fois par semaine au fondd'un " beuglant " de Montmartre ; et ils emmenaient <strong>des</strong> camara<strong>des</strong>, ils y faisaient unsuccès à Mlle Laure, forte chanteuse, la dernière conquête de Hutin, dont ilsappuyaient le talent de si violents coups de canne et de telles clameurs, qu'à deuxreprises déjà la police avait dû intervenir.L'hiver passa de la sorte, Denise obtint enfin trois cents francs d'appointements fixes.Il était temps, ses gros souliers ne tenaient plus. Le dernier mois, elle évitait même <strong>des</strong>ortir, pour ne pas les crever d'un coup.- Mon Dieu ! mademoiselle, vous faites un bruit avec vos chaussures ! répétaitsouvent Mme <strong>Au</strong>rélie, d'un air agacé. C'est insupportable... Qu'avez-vous donc auxpieds ?Le jour où Denise <strong>des</strong>cendit, chaussée de bottines d'étoffe, qu'elle avait payées cinqfrancs, Marguerite et Clara s'étonnèrent à demi-voix, de façon à être entendues.- Tiens! la mal peignée qui a lâché ses galoches, dit l'une.- Ah bien ! reprit l'autre, elle a dû en pleurer... C'étaient les galoches de sa mère.D'ailleurs, un soulèvement général se produisit contre Denise. Le <strong>com</strong>ptoir avait finipar découvrir son amitié avec Pauline, et il voyait une bravade dans cette affectiondonnée à une vendeuse d'un <strong>com</strong>ptoir ennemi. Ces demoiselles parlaient de trahison,l'accusaient d'aller répéter à côté leurs moindres paroles. La guerre de la lingerie et<strong>des</strong> confections.en prit une violence nouvelle, jamais elle n'avait soufflé si rudement : <strong>des</strong> mots furentéchangés, rai<strong>des</strong> <strong>com</strong>me <strong>des</strong> balles, et il y eut même une gifle, un soir, derrière lescartons de chemises. Peut-être, cette lointaine querelle venait-elle de ce que lalingerie portait <strong>des</strong> robes de laine, lorsque les confections étaient vêtues de soie ; entout cas, les lingères parlaient de leurs voisines avec <strong>des</strong> moues révoltées d'honnêtesfilles; et les faits leur donnaient raison, on avait remarqué que la soie semblait influersur les débordements <strong>des</strong> confectionneuses. Clara était souffletée du troupeau de sesamants, Marguerite elle-même avait reçu son enfant à la tête, tandis qu'on accusaitMme Frédéric de passions cachées. Tout cela à cause de cette Denise !- Mesdemoiselles, pas de vilains mots, tenez-vous ! disait Mme <strong>Au</strong>rélie d'un air grave,au milieu <strong>des</strong> colères déchaînées de son petit peuple. Montrez qui vous êtes.Elle préférait se désintéresser. Comme elle le confessait un jour, répondant à unequestion de Mouret, ces demoiselles ne valaient pas plus cher les unes que les autres.Mais, brusquement, elle se passionna, lorsqu'elle apprit de la bouche de Bourdonclequ'il venait de trouver au fond du sous-sol, son fils en train d'embrasser une lingère,cette vendeuse à qui le jeune homme glissait <strong>des</strong> lettres. C'était abominable, et elleaccusa carrément la lingerie d'avoir fait tomber Albert dans un guet-apens ; oui, lecoup était monté contre elle, on cherchait à la déshonorer en perdant un enfant sansexpérience, après s'être convaincu que son rayon restait inattaquable. Elle ne criait sifort que pour embrouiller les choses, car elle n'avait aucune illusion sur son fils, elle lesavait capable de toutes les sottises.Un instant, l'affaire faillit devenir grave, le gantier Mignot s'y trouva mêlé ! il étaitl'ami d'Albert, il avantageait les maîtresses que ce dernier lui adressait, <strong>des</strong> filles encheveux qui fouillaient pendant <strong>des</strong> heures dans les cartons ; et il y avait, en outre,une histoire de gants de Suède donnés à la lingère, dont personne n'eut le derniermot. Enfin, le scandale fut étouffé, par égard pour la première <strong>des</strong> confections, queMouret lui-même traitait avec déférence. Bourdoncle, huit jours plus tard, se contentade congédier, sous un prétexte, la vendeuse coupable de s'être laissé embrasser. S'ilsfermaient les yeux sur les terribles noces du dehors, ces messieurs ne toléraient pas lamoindre gaudriole dans la maison.74

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