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IMAGES ET CONNAISSANCE DE LA LICORNE - Bruno Faidutti

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Les Étymologies d’Isidore de Séville (vers 560-636) sont l’un de ces textes<br />

du Haut Moyen-Âge qui furent sans cesse copiés, imités, appris par cœur, utilisés<br />

jusqu’à la Renaissance par tout ce que l’Europe a compté d’érudits. Cette œuvre<br />

vaut donc avant tout, plus que par son contenu, par l’extraordinaire influence<br />

qu’elle eut sur toute la pensée médiévale. L’article qu’Isidore consacre au<br />

rhinocéros est pour le lecteur moderne l’un de ces chefs d’œuvre d’humour<br />

involontaire que nous réserve l’histoire de la licorne. «Rhinocéron est le nom donné<br />

à l’animal par les Grecs - sa traduction latine est “corne sur le nez” -, ainsi que<br />

monoceron, c’est à dire unicorne, pour sa corne de quatre pieds au milieu du front,<br />

si pointue et si solide qu’il projette ou transperce tout ce qu’il attaque. En effet il se<br />

bat souvent avec les éléphants et les terrasse en les blessant au ventre. Il est si<br />

vaillant que les plus intrépides chasseurs ne peuvent le capturer; mais, comme<br />

l’assurent ceux qui écrivent sur l’histoire des animaux 8 , on lui présente une vierge<br />

qui dévoile son giron quand il arrive, il vient y poser sa tête, abandonnant toute<br />

sauvagerie, et on le capture ainsi calmé, comme désarmé 9 ». Dans le texte latin,<br />

l’assimilation entre les deux animaux est plus claire encore: «Rhinoceron a Græcis<br />

vocatus - latine interpretatur in nare cornu - idem est monoceros, id est<br />

unicornis…». Un Isidorus versificatus didactique du XIIème siècle nous offre cet<br />

admirable résumé: «Le rhinocéros, cet animal qui n’a qu’une corne au milieu du<br />

front, et que nul ne peut vaincre, est vaincu par une vierge nue 10 .»<br />

Isidore, qui n’avait pas plus vu de rhinocéros que de licorne, ne discute pas<br />

de l’assimilation entre les deux animaux; elle lui semble aller de soi, et ce, malgré<br />

la contradiction apparente du texte qui place la corne tout d’abord in nare, et dans<br />

la phrase suivante in media fronte. Mais si l’impression de puissance dégagée par le<br />

récit du combat contre l’éléphant, emprunté à Pline ou à Solin 11 , indique le<br />

rhinocéros, le prudent interpretatur montre bien qu’Isidore voyait plutôt la corne<br />

unique sur le front de l’animal. L’image surprenante qu’il nous donne d’un<br />

rhinocéros endormi dans le giron d’une jeune vierge est le fruit de la juxtaposition<br />

de plusieurs sources. La légende de la capture de la licorne, que l’on retrouverait<br />

dans tous les bestiaires médiévaux, est bien sûr empruntée au Physiologus. Ce qui<br />

8 Cette formule prouve, si besoin était, l’emprunt au Physiologus.<br />

9 Isidore de Séville, Etymologiæ, livre XII, 2, s.v. Rhinocéros.<br />

10 Isidorus versificatus, cité in Claude Lecouteux, Les Monstres dans la pensée<br />

médiévale européenne, Paris, Sorbonne, 1993, p.153.<br />

11 «C’est le second ennemi naturel de l’éléphant. Il aiguise sa corne contre des<br />

pierres pour se préparer au combat, et dans le duel il vise surtout le ventre, où il<br />

sait que la peau est plus tendre.» Pline l’ancien, Histoire naturelle, liv.VIII, 29.<br />

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