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IMAGES ET CONNAISSANCE DE LA LICORNE - Bruno Faidutti

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directe, du moins une inspiration, dans le récit du voyageur et naturaliste portugais<br />

Garcia da Orta, déjà cité plus haut. Certes, l’animal décrit par le médecin lusitanien<br />

ne portait pas encore de nom, et vivait dans le sud de l’Afrique, mais on y<br />

reconnaît déjà quelques unes des caractéristiques que Thevet attribuerait à son<br />

camphruch: la corne unique de cet animal est «orientable à souhait», et cet<br />

unicorne terrestre «se plaît aussi fort en la mer 14 ».<br />

Une autre source probable de ce passage se trouve dans le Cinquième livre<br />

de Rabelais, texte peut-être apocryphe paru après la mort de son auteur présumé,<br />

en 1564, soit à peu de choses près à la même date que l’Historia Aromatum de<br />

Garcia da Orta. Au pays de Satin, Pantagruel et ses compagnons voient «trente<br />

deux unicornes». La description moqueuse de cet animal suit fidèlement le puzzle<br />

anatomique de l’Histoire naturelle de Pline, du moins jusqu’à ce qu’il soit question<br />

de sa corne «aiguë, noire et longue de six ou sept pieds, laquelle, ordinairement,<br />

lui pend en bas comme la crête d’un coq d’Inde». Lorsque cette licorne «veut<br />

combattre ou autrement s’en aider, [elle] la lève raide et droite 15 .» La suite du<br />

texte montre bien pourquoi l’auteur a dû ajouter ce détail: si la corne de la licorne<br />

est ici mobile et susceptible d’érection, c’est pour permettre un long<br />

développement sur les similitudes entre cet étrange attribut et le sexe de Panurge.<br />

La comparaison avec la crête du «coq d’Inde» est moins obscène, et d’autant plus<br />

intéressante que le dindon, car c’est de lui qu’il s’agit, n’avait été que récemment<br />

introduit en Europe 16 . Il est donc peu probable que le Cinquième livre et la<br />

Cosmographie universelle aient puisé à une source commune plus ancienne.<br />

Certes, Thevet glane plus souvent ses singularités dans les récits de voyages et les<br />

cosmographies antérieures que dans des textes littéraires, mais ce n’est pas là la<br />

seule fois qu’il s’inspire nettement de Rabelais 17 .<br />

Il reste que si l’emprunt à Garcia da Orta est probable, et celui à l’auteur du<br />

Cinquième Livre très vraisemblable, la description de Thevet était nouvelle par bien<br />

des aspects. Le lieu où vit le camphruch, les îles Moluques, en plein océan Indien,<br />

est des plus exotiques, tout comme son nom qui n’évoque rien de connu. Terrestre<br />

par ses pattes avant, aux sabots fendus, et par son aspect général, celui d’une<br />

14 Garcias ab Horto, Histoire des drogues, espiceries, et de certains médicamens…,<br />

Lyon, 1602 (1563), p.77.<br />

15 Le cinquième Livre des faits et dits héroïques du bon Pantagruel, ch.XXIX,<br />

«comment nous visitâmes le pays de satin».<br />

16 Paul J. Smith, “Rabelais et la licorne”, in Études rabelaisiennes, t.XIX, Genève,<br />

Droz, 1987, p.154.<br />

17 Sur les liens entre Thevet et Rabelais, voir Frank Lestringant, André Thevet,<br />

cosmographe des derniers Valois, Genève, Droz, 1991, pp.49-56.<br />

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