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IMAGES ET CONNAISSANCE DE LA LICORNE - Bruno Faidutti

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animaux unicornes, de l’invraisemblable camphur au très réel rhinocéros, c’est la<br />

simple présentation d’une corne, d’un morceau de corne même, qui permet à<br />

Thevet de nous livrer son «gentil traité de la licorne».<br />

Peu nous importe où se trouve l’île de Cadamoth: elle est en Orient, comme<br />

l’hypothétique licorne, et c’est un Turc de retour d’Éthiopie, région de prédilection<br />

de notre animal, qui présenta à Thevet et ses compagnons une corne longue d’un<br />

pied et demi, soit bien plus courte que les dents de narval exposées ici ou là en<br />

Europe, à laquelle tenaient encore des poils gris cendré. Pour Thevet, cette corne<br />

provenait d’un animal unicorne, qu’il nous décrit comme un petit taureau portant<br />

une corne droite au sommet de la tête. Nous sommes bien loin de la belle licorne<br />

des légendes et des tapisseries, et cela permet au cosmographe de revenir sur un<br />

thème habituel: il existe bien de nombreux animaux unicornes, parmi lesquels<br />

l’«âne indique» d’Aristote et notre curieux taurillon, mais les licornes «telles que<br />

nous les peignons», qui s’amourachent des jeunes filles, ne sont que «discours de<br />

Mélusine». Affirmer ne pas croire à la licorne était ici, de la part de Thevet, une<br />

prise de position moderniste que renforce d’ailleurs sa volonté affichée de «ne pas<br />

s’arrêter à l’opinion de Pline, Munster, Solin et Strabo». Munster est le seul<br />

moderne de la liste, mais comme cosmographe un concurrent de Thevet; Solin et<br />

Strabon sont des compilateurs de Pline. Thevet avait pourtant en partie emprunté<br />

au dernier, peut-être sans le savoir, la description du Naharaph-Monoceros. A la<br />

limite, le refus du nom générique «licorne» pour le camphruch, le pirassouppi et les<br />

divers unicornes qui parcourent son œuvre est pour Thevet un choix idéologique,<br />

ou simplement esthétique, de rupture avec la tradition précédente. On en<br />

trouverait le pendant traditionaliste au XIXème siècle, quand certains voulurent à<br />

tout prix baptiser «licornes» les très hypothétiques antilopes unicornes d’Afrique du<br />

Sud ou du Tibet. La position inverse peut avoir la même fonction, lorsque Thevet<br />

écrit que le basilic, serpent monstrueux tuant les êtres vivants par son seul regard,<br />

et auquel on croyait alors bien moins qu’à la licorne, existe réellement mais n’est<br />

qu’un petit serpent inoffensif 32 . La science moderne a préféré depuis, avec plus d’à<br />

propos, donner le nom du monstre médiéval à un grand lézard américain.<br />

L’argumentation de Thevet pour nier l’existence de «la licorne» est, nous<br />

l’avons vu, relativement simple. Pline, qui était encore à l’époque tenu pour une<br />

source généralement fiable concernant l’Orient, est accusé de raconter des<br />

sornettes sur les griffons, les sirènes et les curieuses peuplades, sciapodes ou<br />

cynocéphales, censées habiter l’Orient lointain. Pourquoi alors le croire quand il<br />

32 André Thevet, Cosmographie Universelle, liv.III, ch.VII, fol.95.<br />

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