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IMAGES ET CONNAISSANCE DE LA LICORNE - Bruno Faidutti

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donnèrent à l’écrivain l’occasion d’imaginer à ces tapisseries une histoire<br />

romantique autant que romanesque, dans un Orient merveilleux. Elles auraient été<br />

commandées par le prince Zizime, ou Djem, fils de Mahomet II et frère de Bajazet,<br />

alors prisonnier à Bourganeuf, dans la Creuse 100 , qui les aurait fait exécuter pour la<br />

dame de son cœur. «Selon les uns, le portrait de cette belle serait celui d’une<br />

esclave adorée dont Zizime aurait été forcé de se séparer en fuyant à Rhodes;<br />

…[selon d’autres], ce serait le portrait d’une dame de Blanchefort, nièce de Pierre<br />

d’Aubusson, qui aurait inspiré à Zizime une passion assez vive, mais qui aurait<br />

échoué dans la tentative de convertir le héros musulman au christianisme 101 .» La<br />

légende des tapisseries de la Dame à la licorne prenait ainsi, dans l’imaginaire<br />

occidental, le relais de la légende de la vierge et de la licorne. Dès 1884, Edmond<br />

du Sommerard, dans un supplément à son catalogue du musée de Cluny, détruisait<br />

cette trop belle histoire, et reconnaissait, sur les bannières et les écus des<br />

tapisseries, les armoiries d’une riche famille lyonnaise, les Le Viste 102 . La belle<br />

légende inventée par George Sand sut pourtant résister à la cruelle histoire, avec<br />

autant d’opiniâtreté que la licorne médiévale avait résisté à la zoologie moderne.<br />

Jusqu’à ces dernières années, des ouvrages plus ou moins sérieux ont en effet<br />

continué à voir, ou vouloir voir, dans les tapisseries du musée de Cluny le cadeau<br />

100 Le prince Djem, ou Zizime, était le fils cadet du sultan Mahomet II, conquérant<br />

de Constantinople en 1453. A la mort de son père, qui aurait souhaité voir Djem lui<br />

succéder, c’est son frère aîné, Bajazet, ou Beyazid, qui monta sur le trône de<br />

l’empire ottoman. Le prince Djem, désireux de s’emparer du trône, remit son sort<br />

entre les mains des chevaliers de Rhodes, ignorant que ces derniers venaient de<br />

pactiser avec les Turcs. Pierre d’Aubusson, grand maître de Rhodes, retint donc<br />

Djem prisonnier en France sept ans durant, de 1482 à 1489, dans différents<br />

châteaux du Limousin et du Berry. Devenu un pion impuissant du jeu diplomatique<br />

entre l’Orient et l’Occident, Djem fut finalement assassiné à Naples en 1495. Sur<br />

l’histoire de ce personnage, on pourra consulter la minutieuse biographie de Louis<br />

Thuasne, Djem sultan, Étude sur la question d’Orient à la fin du XVème siècle,<br />

Paris, 1892. Djem apparaît, sous le nom de Zim-Zizimi, dans La Légende des<br />

siècles de Victor Hugo.<br />

101 George Sand, “Un coin du Berry et de la Marche”, in L’illustration, 3 juillet 1847,<br />

n°227, pp.275-276.<br />

102 «D’après une tradition, que rien ne justifie, les tapisseries de Boussac auraient<br />

été apportées d’Orient par Zizim, fils puîné de Mahomet II. C’est là une légende<br />

populaire motivée sans doute par les croissants des armoiries.»<br />

Edmond du Sommerard, Catalogue du musée des thermes de l’hôtel de Cluny,<br />

Paris, 1884, p.678.<br />

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