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IMAGES ET CONNAISSANCE DE LA LICORNE - Bruno Faidutti

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Corne et cornes<br />

Peut-être sommes-nous allés un peu loin en ramenant le débat sur les<br />

quadrupèdes unicornes à des rivalités de personnes et des controverses<br />

sémantiques. Il restait encore, en cette fin de XVIème siècle, un point de<br />

discussion scientifique concernant la licorne. Sa corne éponyme a, en effet, fait<br />

couler autant d’encre que l’animal lui-même, et les vraies questions concernaient<br />

alors non pas l’existence d’animaux unicornes, généralement admise, mais l’origine<br />

et les propriétés médicales de ces belles ivoires torsadées qui ornaient depuis<br />

longtemps les palais des princes, et depuis peu les cabinets des curieux et les<br />

échoppes des apothicaires. Affirmant d’emblée qu’il ne saurait s’agir là de cornes<br />

de licorne, puisque la vraie licorne n’existe pas, et que «ces cornes que l’on nous<br />

fait voir sous le nom de licorne sont d’autres bêtes que celle que l’on nous<br />

représente en peinture», Thevet se pose, une fois encore, en moderne. Il aurait pu<br />

s’arrêter là, attribuant ces longues défenses spiralées au monocéros ou à l’«âne<br />

indique» unicorne. Si, comme tout le laisse à penser, la «corne indique» bien<br />

connue des anciens guérisseurs n’est autre que celle du rhinocéros, tout distingue<br />

cette agglomération de poils grisâtres de la belle dent ivoirine du narval, qui<br />

passait alors pour corne de licorne. Au chapitre sur le rhinocéros, le cosmographe<br />

avait certes laissé entendre que «ces morceaux de licorne qu’on nous montre<br />

[sont] de la corne du rhinocéros», mais l’explication ne valait que pour des pièces<br />

de taille réduite. Thevet avance donc, prudemment, l’idée que les belles et longues<br />

cornes de licorne pourraient être non pas, comme nous le savons aujourd’hui, des<br />

dents de narval, animal alors inconnu et qui ne serait vraiment décrit qu’un demi<br />

siècle plus tard 37 , mais des créations artisanales fabriquées en Orient par d’habiles<br />

faussaires à seule fin de les vendre, cher, aux naïfs princes d’Europe. L’une des<br />

sources de Thevet est ici sans doute, l’Histoire d’Écosse d’Hector Boethius. Ce<br />

dernier, après un récit de pêche au morse du plus haut comique, dans lequel les<br />

chasseurs patients attendent qu’un morse fatigué d’avoir trop nagé s’endorme à<br />

l’ombre d’un buisson pour le ligoter et lui scier les canines, avant de le libérer pour<br />

que ces dents puissent repousser, assurait en effet que ces défenses étaient<br />

artificiellement travaillées avant d’être vendues comme cornes de licorne 38 .<br />

37 Isaac de la Peyrère, Relation du Groenland, Paris, 1647, pp.62 à 94.<br />

38 Hector Boethius, Scotorum Historiæ, Paris, 1526. Après l’avoir découvert une<br />

fois, je ne suis pas parvenu à retrouver dans ce volumineux ouvrage le passage<br />

dans lequel Boethius faisait ce récit. Il existe pourtant, et une amie travaillant sur<br />

l’historiographie de l’Écosse l’y a également lu. Le chapitre XI du Discours de la<br />

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