Le Parfum D'Adam

pour elle ce paysage à une échelle humaine et lui conférait
un sens. L’homme semblait être le miroir intelligent de ce
monde inerte. Il lui donnait sa valeur et, en le contemplant,
révélait la beauté qu’il contenait.
Ils avaient atteint le rebord du plateau et devaient
maintenant plonger vers les profondeurs du canyon que
brouillait une vapeur de poussière et de chaleur. Harrow fit
signe à Juliette de passer la première. Il tenait à rester en
arrière pour pouvoir la secourir au cas où sa jument aurait
trébuché. Le résultat fut que bientôt Juliette dut
s’accoutumer à avoir sous les yeux un paysage vide de tout
être humain. Et sa perception peu à peu s’inversa. Loin
d’être ordonnée par et pour les hommes, cette nature
écrasante lui parut à l’évidence ne laisser qu’une place
infime, insignifiante au spectateur humain. Écrasée par
cette beauté, il était clair pour Juliette que la nature vivait
d’une existence propre et ne devait rien à l’homme sinon
sa destruction.
Elle pensa au livre qu’elle avait trouvé dans sa chambre
le jour précédent et qu’elle avait lu en attendant le retour de
Ted. L’auteur, un certain Aldo Leopold, était un ancien
gardien de parc naturel. Le titre de l’ouvrage était
Almanach d’un comté de sable. Il parlait des montagnes,
des rivières, des paysages comme de véritables
personnes sur lesquelles l’être humain n’a pas de droit.
Jonathan avait mentionné ce livre autrefois, pendant leurs
discussions d’étudiants. Il présentait pompeusement ce
texte comme l’acte de naissance d’une nouvelle relation