Le Parfum D'Adam

l’enchaînement des reliefs. Elle eut même la fierté de
découvrir seule des signes indiens disposés sur des
branches à un endroit où il fallait changer de direction. Elle
acquit la certitude qu’ils avaient suivi une grande boucle à
travers les canyons et que leur chemin les ramenait à la
maison troglodyte. Ainsi n’allaient-ils nulle part. Le but de
leur voyage était le voyage lui-même. Harrow l’avait
prévenue qu’elle devait apprendre. Elle comprenait que cet
enseignement ne passait pas par des mots mais par une
expérience plus concrète, qui mettrait en jeu le corps et
l’esprit. Il imprimait sa marque en elle plus profondément
que ne l’auraient fait des paroles.
Bercée par le pas du cheval, enveloppée dans un
silence que Ted respectait d’autant mieux qu’il lui était
naturel, Juliette revisita ses souvenirs et médita sur ses
engagements.
Elle avait longtemps cru que son entrée à Greenworld
avait été le seul fruit du hasard. Elle avait été entraînée à la
fac par un groupe bruyant qui partait pour une manif. C’était
à Lyon, par un bel après-midi de soleil. Elle ne savait pas
trop pourquoi elle défilait, mais elle était heureuse de sortir
et de crier. Elle vivait une époque de solitude douloureuse.
Plusieurs fois cet hiver-là, elle avait pensé à mourir. La
joyeuse bousculade sur les quais du Rhône, les slogans
hurlés bras dessus bras dessous, la forte lumière sur les
toits de tuiles du quartier Saint-Paul l’avaient à leur
manière sauvée. Cette médecine inattendue s’appelait
Green-world. Peu importait, en vérité. L’essentiel était