Le Parfum D'Adam

que ses propos, ses images ont pris pour moi une valeur
nouvelle. Aujourd’hui plus qu’avant, je crois voir assez
clairement le personnage. Ce qu’il y avait en lui de haine
m’apparaît sans le moindre doute et, par certains côtés,
son souvenir me remplit de dégoût. Sans l’avoir souhaitée,
sa mort m’a tout de même soulagée.
Il n’empêche que d’autres souvenirs de lui me restent. Je
n’ai pas oublié une nuit que nous avons passée, seuls dans
le désert du Colorado. Personne ne m’avait aussi
nettement fait penser à la terre, à sa fragilité, à la mort qui
la menace. Sur mes rochers, en regardant, presque au ras
de l’eau, la baie et les mouettes qui la survolent, j’ai
retrouvé la même impression, aussi forte, aussi profonde,
aussi révoltante. Cela, je ne le renie pas.
Et pourtant, Harrow avait tort. La solution qu’il proposait
de mettre en œuvre était monstrueuse. Son raisonnement,
quand il le formulait, était convaincant : l’homme tue la
terre ; il faut la protéger de lui. Où était alors l’erreur ?
Je ne suis pas une intellectuelle. Les idées me sont
assez indifférentes si elles ne sont pas soutenues par
l’émotion, le sentiment, l’amour. Aussi soyez indulgent pour
ce que je vais vous dire. J’exprime plutôt des intuitions
qu’un raisonnement bien étayé et n’importe qui pourrait
sans doute récuser facilement mes propos. Je vais les
résumer en quelques mots, dans le désordre qui est sans
doute celui de mon esprit.
Dans la nuit du Colorado et bien souvent par la suite,
Harrow m’avait parlé de cette croyance des Indiens selon