Le Parfum D'Adam

Juliette sentit que Harrow s’était maintenant tourné vers
elle. Jamais elle n’aurait cru pouvoir concentrer autant de
troublant désir dans son œil et dans un doigt crocheté sur
la gâchette froide. Ses pensées tournoyaient à une vitesse
jamais atteinte. Elle se sentait comme sur un manège
emballé. Il fallait arrêter cela, disperser ces idées comme
des corbeaux. Elle pressa la détente.
Le clic de l’arme retentit seul, émettant une vibration
aiguë que perçurent les animaux. Toute la troupe s’enfuit
d’un coup en bondissant. Juliette attendit un long instant
sans bouger, comme si la déflagration allait survenir avec
retard. Puis elle se rendit à l’évidence et abaissa le canon.
Elle regarda l’arme et tourna la tête vers Harrow. À voir son
léger sourire, elle comprit que la carabine ne s’était pas
enrayée. Il ne l’avait tout simplement pas chargée.
Harrow tendit la main et reprit l’arme.
— Il ne faut pas tuer les antilopes. Ce n’est pas que
chacune d’elles soit sacrée. S’il y en avait beaucoup, on
pourrait en abattre. Mais il y en a de moins en moins et
l’espèce entière est menacée.
Juliette le regardait avec hébétude. Un double sentiment
se disputait sa conscience. Elle était heureuse d’avoir
épargné la bête. En même temps, elle était étonnée de
sentir au fond d’elle une terrible frustration. Elle éprouvait
comme un manque douloureux : celui de ne pas avoir tiré.
— Protéger la nature, souffla Harrow en se relevant et en
retournant vers les chevaux, c’est savoir qui il faut faire