L'Etat en jeu - fasopo

On étudiera donc comment les activités de mobilisation des organisations des deux
systèmes d’action dans les établissements de l’enseignement supérieur contribuent à faire de
ces derniers des institutions dans lesquelles les étudiants reçoivent des encouragements, voire
des injonctions à s’engager et à politiser leurs pratiques.
Nous avons vu dans le chapitre précédent que la politisation des individus peut être
analysée comme une acquisition de compétences 1134 et une diversification des activités,
repérables dans les pratiques culturelles, sociales, et politiques des individus 1135 . Elle
s’apparente à des modifications des pratiques et des représentations, qui s’articulent alors à
l’une ou l’autre des positions politiques disponibles à l’université 1136 .
A l’université turque, ces politisations se réalisent dans des configurations spécifiques,
faisant intervenir les socialisations politiques pré-universitaires des étudiants, le type d’habitat
et la structuration de l’offre politique dans l’établissement. Ces trois variables contribuent
ainsi à déterminer les possibilités et les formes des politisations. Mais elles ne s’excluent pas,
leur rencontre pouvant soit fonctionner comme des configurations surgénératrices d’activités
à caractère politique, soit annuler les effets propres de chacune d’entre elles.
La politisation est d’abord une activité sociale impliquant un ensemble de pratiques.
Pour être politisé, il faut s’engager dans certaines activités. Dans la réalisation de la
recherche, il a donc fallu repérer les conditions de possibilité de la réalisation d’activités
sociales considérées comme politiques à l’université, les phases du processus de politisation,
ses « passages obligés », les moments où « se jouent » les bifurcations ou les décisions de
maintien dans le processus, mais aussi les changements de comportements, de goûts, et dans
les sociabilités qui constituent les processus de politisation. L’entretien semi-directif fut
privilégié, malgré les biais dont il est nécessairement porteur, parce qu’il est la seule méthode
permettant d’accéder au récit des expériences individuelles des individus. Nous avons
plusieurs fois constaté les dangers de l’utilisation irraisonnée de l’entretien, et les biais dont
est porteuse la restitution des expériences lorsqu’elle est menée plus de vingt-cinq ans après
des membres du corps professoral des universités américaines les encourage à incarner majoritairement des
positions libérales, et comment ces dernières influent sur les formes de la participation politique, en
encourageant notamment leur syndicalisation. Ladd, Everett C., Lipset, Seymour M., The Divided Academy :
Professors and Politics, New York, McGraw-Hill Book, 1975.
1134
Gaxie, Daniel, Le cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, Paris, Éditions du Seuil, 3ème
édition, 1978.
1135
Bernard Lacroix décrit la politisation comme l’« acquisition d’usages pratiques ainsi que de schèmes de
justification pratique » de l’ordre politique. Lacroix, Bernard, « Ordre politique et ordre social. Objectivisme,
objectivation et analyse politique », art. cit., pp. 469, 565.
1136
Ces modifications ne résultent pas toujours d’une intentionnalité des agents. Nous le verrons, la force des
labellisations, produites par des étudiants membres des organisations politiques, suffit parfois à placer les
étudiants dans l’un ou l’autre des camps en présence à l’université, et les contraint à « jouer le jeu de
l’étiquette ».
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