L'Etat en jeu - fasopo

Au niveau provincial, l’alternance gouvernementale produit un renouvellement d’une
partie importante de l’administration déconcentrée de l’Etat et prive les sections locales du
parti et des organisations idéalistes du soutien qu’elles pouvaient trouver auprès des
fonctionnaires mutés et des personnels congédiés. Elles perdent l’accès aux positions
administratives ainsi que le contrôle du recrutement dans la plupart des entreprises publiques.
Autrement dit, elles perdent la main sur tout un ensemble de ressources centrales dont l’accès
était permis par l’occupation de postes gouvernementaux. La chute du gouvernement de Front
nationaliste représente donc une baisse significative du niveau de ressources des groupes
idéalistes locaux. La perte des capacités de captation des ressources étatiques par
l’investissement des institutions centrales de l’Etat produit, pour le Mouvement nationaliste,
une augmentation des activités de substitution à l’Etat au niveau local. Tout se passe comme
si ses membres forçaient l’accès aux ressources par l’intimidation, la violence et la
substitution aux pouvoirs publics locaux, ce qui s’effectue, dès le début du mois de mars
1978, par la constitution de milices et de groupes spécialisés dans le maintien de l’ordre et la
réalisation d’opérations de grande ampleur. Là où le MHP dispose d’un accès aux ressources
municipales, et notamment dans ses municipalités du centre de l’Anatolie formant son
« croissant fleurissant » (verimli hilal), les membres de milices idéalistes veillent à la
pérennisation des positions du parti en homogénéisant les populations selon des critères
politiques et confessionnels. Là où le parti est dans l’opposition municipale, le même type de
milices ou des groupes spécialisés dans les actions armées tentent de renverser les rapports de
forces politiques (en obtenant le départ de populations ou en entretenant un climat
d’insécurité) par l’intimidation, les assassinats ou les combats de rue avec des militants de
gauche.
L’état de siège, proclamé après les incidents de Kahramanmaraş perpétrés par des
unités idéalistes, est accueilli favorablement par les leaders du MHP. Ils appelaient d’ailleurs
depuis plusieurs mois à sa proclamation, afin, selon Türkeş, de « mettre un terme à
l’anarchie » 1302 . Ils prévoyaient certainement, comme l’affirment Tanıl Bora et Kemal Can,
que le parti, en donnant un soutient solide à l’état de siège dans l’élimination des
organisations révolutionnaires et socialistes, gagnerait des soutiens dans l’armée et pourrait
constituer la colonne vertébrale d’un nouveau bloc au pouvoir. Selon Bora et Can, Türkeş
aurait ainsi pensé que le parti profiterait d’un durcissement de l’Etat pour gagner en influence
et constituer électoralement le pilier d’un nouveau gouvernement, garant du maintien de
1302 « Türkeş : “Sıkıyönetim derhal ilân edilerek anarşi durdurulmalı” » (Türkeş : « l’anarchie doit être stoppée
en annonçant immédiatement l’état de siège), Cumhuriyet, 5 octobre 1978, pp. 1, 9.
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