L'Etat en jeu - fasopo

gouvernement minoritaire le 12 novembre 1979. Nous avons vu dans le quatrième chapitre de
la thèse comment le MHP parvient à réinvestir les institutions centrales et déconcentrées de
l’Etat en intervenant sur les nominations et en y menant un travail de mobilisation pendant la
période du gouvernement Demirel 1307 . Le parti a donc su échanger son soutien politique
contre un ensemble de postes dans l’administration et les entreprises publiques. Grâce aux
soutiens qu’elles rencontrent auprès des nouveaux membres des administrations provinciales,
et selon les configurations locales, les sections du parti et des associations idéalistes trouvent
donc l’opportunité de mettre en œuvre des activités de captation des ressources basées sur la
substitution à l’Etat ou l’activation de ses réseaux politiques et administratifs. Là où elles ne
sont pas en position de force et n’ont pas accès aux ressources municipales locales, les
organisations locales du Mouvement nationaliste profitent de ressources centrales accessibles
par l’entremise de fonctionnaires idéalistes en poste dans la police, la justice, les services du
préfet de province ou dans les entreprises publiques.
Cependant, la moyenne mensuelle des victimes des affrontements droite/gauche
pendant le gouvernement AP est nettement supérieure à celle relevée pendant le
gouvernement CHP. Elle passe de 78,05 morts par mois à 187,55. Ce résultat tend à infirmer
notre hypothèse de l’intensification de l’usage de la violence par le Mouvement nationaliste
quand le parti n’a pas accès aux ressources étatiques. Cependant, nous verrons que
localement, les endroits où le niveau de violence est le plus élevé sont ceux où le MHP et ses
alliés (AP et MSP) sont électoralement minoritaires. Il faut donc prendre en compte
l’enchevêtrement des niveaux d’action collective et d’action publique pour comprendre les
contextes dans lesquels la violence physique émerge. Au terme de près de deux ans
d’acharnement du gouvernement CHP, les militants idéalistes radicalisés disposent des
marges de manœuvres nécessaires pour faire fructifier leurs activités, notamment là où ils
1307 La configuration remarquable à partir de novembre 1979 peut être rapprochée, en termes de positions et de
ressources des acteurs, de celle en vigueur pendant les gouvernements de Front nationaliste, pendant lesquels le
niveau de violence était sensiblement moins élevé. En ce sens, il n’est pas possible de déduire uniquement des
configurations d’acteurs – c’est-à-dire sans faire intervenir la diachronie – les instruments, les ressources et les
modes d’action que ceux-ci mettront en œuvre, et donc de comprendre l’intensification de la violence physique
uniquement par les positions occupées dans les différentes arènes concernées. La temporalité compte. Il nous
faut alors replacer la configuration qui apparaît en novembre 1979 dans un continuum de configurations. Une
fois que le parti perd ses positions et ressources étatiques en janvier 1978, le Mouvement nationaliste modifie ses
tactiques d’accumulation des ressources locales. Localement, les organisations du Mouvement nationaliste se
militarisent, afin qu’elles et le parti puissent accéder aux ressources dont elles ont besoin malgré leur
marginalisation politique dans l’arène nationale. Après 1979, les membres locaux renouvellent cette tactique,
mais en profitant des positions étatiques dont profite le MHP avec le retour de l’AP au gouvernement. Si la
configuration en vigueur à partir de novembre 1979 montre de grandes similitudes, en termes de positions et de
ressources des acteurs, avec celle qui avait cour entre le 31 mars 1975 et le 5 janvier 1978, elle apparaît alors que
le Mouvement nationaliste s’est militarisé et que les institutions étatiques, et notamment de maintien de l’ordre,
sont largement desobjectivées. C’est la raison pour laquelle elle s’accompagne de modes d’accumulation des
ressources radicalement différents.
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