L'Etat en jeu - fasopo

La constitution d’organisations idéalistes dans l’ensemble de ces secteurs, en
modifiant les rapports de force intersyndicaux ou interassociatifs, contribue à transformer les
espaces de positions internes et instaure des rapports de concurrence nouveaux. Ces
organisations coordonnent leurs mobilisations et interagissent avec leur environnement selon
des logiques similaires. Sur les sites investis, les organisations idéalistes catégorielles
s’accordent et s’appuient sur la structuration organisationnelle du système d’action local pour
développer leurs activités. Pendant les périodes où le parti est au gouvernement, ces
organisations idéalistes bénéficient d’une sorte de « certification » 1228 de certains secteurs des
pouvoirs publics et voient leurs revendications plus facilement entendues. Leurs membres
bénéficient en outre de traitements de faveur de la part du personnel MHP en poste, mais
aussi de la bienveillance du personnel politique AP local. Quand le parti perd ses positions
gouvernementales, les organisations idéalistes subissent ensemble les coûts de la
« décertification » 1229 des pouvoirs publics et perdent les positions acquises. Il semble bien
que ce soient ces « interférences et tactiques collusives » 1230 – tendant à homogénéiser les
intérêts, les revendications, les agendas et les répertoires d’action des organisations idéalistes
sectorielles et catégorielles – qui provoquent le « désenclavement des espaces de
confrontation » 1231 et la despécification des jeux sectoriels pendant la seconde moitié des
années 1970. Sur l’ensemble des sites de mobilisation, cette bipolarisation de l’espace des
positions s’articule à deux ensembles de labels. Ainsi, aux labels de « socialiste »,
« communiste » et de « gauchiste », répondent ceux de « droitiste » (sağcı), d’idéaliste et de
« fasciste ». Ces deux catégories de placement (mais également de pensée et d’action) vont
tendre à se généraliser sur l’ensemble des sites de mobilisation, pour aboutir à une
bipolarisation des espaces de positions sectoriels.
Cette entrée en phase des clivages et des positions sectorielles contribue à l’extension
des « zones d’interdépendance tactique » 1232 et à la déspécification des enjeux sectoriels. Cela
aboutit à l’homogénéisation des revendications des organisations du système d’action
d’extrême gauche, à la participation croisée à des campagnes sectorielles ou à l’apparition de
campagnes multisectorielles. Ainsi, tout se passe comme si la valorisation de ces labels
permettait aux acteurs d’universaliser des revendications sectorielles (ayant trait aux
1228 Selon Charles Tilly et Sidney Tarrow, la « certification » est un « signal émis par une autorité extérieure
montrant qu’elle est disposée à reconnaître et à soutenir l’existence et la revendication d’un certain acteur
politique » Tilly, Charles, Tarrow, Sidney, La politique du conflit, op. cit., p. 353.
1229 « Dans la décertification, une autorité extérieure signale qu’elle retire à un acteur politique sa reconnaissance
et son soutien », Tilly, Charles, Tarrow, Sidney, La politique du conflit, op. cit., p. 353.
1230 Dobry, Michel, Sociologie des crises politiques, op. cit., p. 115.
1231 Ibid., p. 143.
1232 Ibid., pp. 101-102.
405