L'Etat en jeu - fasopo

« Et combien de temps consacriez-vous à la politique, par semaine ?
Tous les jours, du matin au soir, on faisait de la politique tout le temps. D’ailleurs, à la
fin du lycée, je n’allais même plus en cours.
Vous n’alliez plus au lycée ?
Non, je n’allais plus beaucoup au lycée, d’ailleurs, j’ai fait 5 mois de prison en 1979,
je ne pouvais plus y aller ».
Comment ça ?
C'est-à-dire… En 1978 il y a eu le massacre de Kahramanmaraş, officiellement, il y a
eu 111 tués je crois. Alors un an plus tard, Töb-Der et Dev-Genç décident d’organiser
une protestation, “une résistance générale” (genel direniş). Alors le 24 décembre 1979,
nous occupons l’école…
Qui ça “nous”, le Dev genç ?
Non, il y avait Dev-Lis, Lise Dev-Genç et Anot » 1159 .
Kutay est donc arrêté lors de cette occupation du lyée, puis emprisonné pendant cinq
mois à la prison militaire de Mamak, à Ankara. A sa sortie, il ne se réinscrit pas au lycée et
décide de continuer ses activités politiques de façon clandestine auprès de ses anciens amis du
lycée d’Ulus, mais également d’autres, rencontrés en prison.
A mesure que passent les années, les lycées (et parfois les collèges) deviennent des
arènes de politisation des interactions et des activités. Bölügiray l’évoque dans ses mémoires,
lorsqu’il regrette ne pas avoir su rétablir l’ordre dans les provinces dont il avait la charge. Il
déplore le fait que les élèves refusent de chanter l’hymne national lors des cérémonies du
drapeau organisées dans les lycées 1160 , qu’ils déchirent les drapeaux turcs et les remplacent
par des drapeaux soviétiques ou des symboles communistes, que des bustes de Mustafa
Kemal soient peints en rouge (ou que son portrait soit recouvert de celui de Staline dans le
lycée de Ceyhan 1161 ), que les lycéens déchirent leurs cahiers de contrôles, leurs fiches et leurs
relevés de notes sans que personne, par peur des représailles ne lui fasse savoir.
« Pour dire vrai, à part les lycées de filles, toutes les écoles étaient dans une situation
de terreur et d’anarchie. Généralement, les écoles Imam Hatip étaient sous domination
des organisations terroristes de droite, les autres écoles sous domination des
organisations de gauche. Dans ces écoles, les organisations terroristes de droite
n’étaient pas en situation de supériorité et se battaient avec les organisations terroristes
de gauche. […] Les écoles en situation d’anarchie voyaient les étudiants se séparer en
deux ou trois factions qui pouvaient s’affronter dans les rues ou se battre à l’arme à
feu. Pour cette raison, les élèves se regroupaient avant de se rendre à l’école et
prenaient la route de l’école en groupe. Cela se passait aussi pour le retour de l’école
» 1162 .
1159 Ibid.
1160 Bölügiray, Nevzat, Sokaktaki Asker, Bir Sıkıyönetim Komutanının 12 Eylül Öncesi Anıları (Le militaire
dans la rue. Les mémoires d’avant le 12 septembre d’un commandant de l’état de siège), op. cit., p. 223.
1161 Ibid.
1162 Ibid., p. 180.
379