L'Etat en jeu - fasopo

accusées de kurdicité, de séparatisme, de communisme, d’hétérodoxie religieuse et de non-
respect des principes de l’Islam. Selon le Mouvement nationaliste, les communautés alévies
posent donc un double problème, culturel et économique, leur arrivée dans les centres urbains
étant également considérée comme le facteur du déséquilibre des marchés locaux de l’emploi.
Dans les villes d’Anatolie centrale et de la « zone rouge », les groupes d’extrême gauche ne
ménagent donc pas leurs efforts de mobilisation des populations alévies, tandis que les
idéalistes se servent de ce bouc émissaire tout trouvé pour mobiliser les populations sunnites.
Burak Gürel donne plusieurs exemples de discours publics, de mots d’ordre et de déclarations
permettant de se rendre compte de la façon dont les divisions communautaires deviennent des
objets de luttes politiques. Le 22 septembre 1978, un tract est distribué dans Sivas par
l’organisation locale la Jeunesse musulmane (Müslüman Gençlik), qui déclare : « Attention
alévis ! Ne soyez pas utilisés comme des instruments, tirez les leçons de l’histoire. Vous avez
scandé « Shah, Shah » [une référence au support accordé par des tribus alévies au leader
Safavide Shah İsmail]. Aujourd’hui ce n’est pas vers le Shah, mais vers le communisme que
vous courrez » 1379 . Localement, les groupes politiques instrumentalisent ces représentations
de l’alévité, comme c’est le cas à Sivas les 3 et 4 septembre 1978, quand un alévi se fait battre
par une vingtaine de militants MHP alors qu’il tente de séparer deux enfants (alévi et sunnite)
qui se battent. Deux femmes, qui se précipitent pour aider l’individu molesté, se font tuer. Des
militants MHP diffusent alors une fausse information dans la ville, affirmant que « les alévis
communistes ont fait exploser une bombe à la mosquée Alibaba ». Une attaque de masse est
alors organisée, faisant intervenir des milices venues de quartiers libérés, des unités idéalistes
et des membres de la communauté sunnite de la ville. Les assaillants visent les bâtiments
municipaux – la municipalité est tenue par le CHP – et les commerces des sympathisants
CHP, mais également les commerces appartenants à des membres de la communauté alévie et
plus généralement les districts d’Alibaba, Aydoğan et Çiçekli, dans lesquels la population
alévie de la ville se concentre. Le soir venu, on dénombre 5 morts et 50 blessés. Le jour des
funérailles des militants idéalistes tués pendant l’assaut, une seconde vague d’attaques a lieu,
dirigée vers les mêmes quartiers, aux cris de « Communistes et Kızılbaş (alévis) ont tué nos
frères ! », « Turquie musulmane ! », « Mort aux communistes ! », « Sivas sera le tombeau des
incroyants ! » 1380 .
1379 Ibid., p. 53.
1380 Ibid., p. 101.
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