L'Etat en jeu - fasopo

ésultats de ces processus s’éloignent cependant des projets de leurs protagonistes, puisque
l’intensification de la violence et l’ingouvernabilité qu’elle provoque servent de légitimation à
l’intervention militaire auprès des populations, des créanciers et des alliers internationaux du
pays 1457 . En diffusant une perception de la situation comme crise ou chaos généralisé,
l’intensification de la violence rend le coup d’Etat inévitable, voire souhaitable, pour une
multiplicité d’acteurs. En ce sens, l’intervention militaire n’est pas le produit de la violence,
mais celle-ci fonctionne comme une condition de possibilité du coup 1458 , permettant aux
militaires de mettre en œuvre un programme et un projet de société alternatif excluant les
protagonistes des processus qui avaient permis leur intervention. Une fois au pouvoir, les
militaires procèdent à la fermeture de l’ensemble des partis politiques et à l’arrestation de
leurs cadres. La torture est généralisée. Les militants des organisations d’extrême gauche sont
directement ciblés. Ils sont systématiquement emprisonnés et sont victimes de l’acharnement
des institutions sécuritaires mises en place par le régime issu du coup d’Etat. Le Mouvement
nationaliste est également touché, mais l’intervention militaire ne vise pas particulièrement
son éradication. Ainsi, de nombreux cadres du MHP et des associations idéalistes sont jugés
lors de différents procés organisés pendant le coup d’Etat et condamnés à des peines
d’emprisonnement, mais le parti rouvre dès le 7 juillet 1983 sous le nom de Parti conservateur
(Muhafazakâr Parti, MP). Il change de nom pour devenir le Parti du travail nationaliste
(Milliyetçi Çalişma Partisi, MÇP) en novembre 1985 et redevient MHP lors de son congrès
du 27 décembre 1992 1459 . Il remporte 129 sièges à l’Assemblée nationale lors des élections
législatives de 1999, avec 17,98% des suffrages exprimés, et retrouve des positions
gouvernementales dans une coalition dirigée par l’ancien leader du CHP Bülent Ecevit. Dès
les années 1980, des idéalistes spécialisés dans les actions armées profitent de relations dans
les institutions sécuritaires (et notamment la Direction de la sûreté) pour servir de bras armés
dans la guerre menée contre le PKK ou plus généralement dans les opérations de « contre-
terrorisme » 1460 .
1457 Les Etats-Unis approuvent, voire soutiennent l’intervention militaire. Dorronsoro, Gilles, Que veut la
Turquie ? Ambitions et stratégies internationales, Paris, Autrement, 2009, p. 60.
1458 Cette situation, qui donne à voir un acteur extérieur aux processus qui lui permettent de s’imposer dans le jeu
en les instrumentalisant, n’est pas sans rappeler le contexte dans lequel le général de Gaulle revient au pouvoir
en 1958.
1459 Stephane Yerasimos note qu’à la fin des annés 1990, avec 20 000 membres actifs et 100 000 sympathisants,
les foyers idéalistes représentent toujours un des mouvement les plus importants de Turquie. Seufert, Günter,
Yerasimos, Stefanos, Vorhoff, Karin (dir.), Civil Society in the Grip of Nationalism, Orient Institut et Institut
Français d’études anatoliennes, 2000, p. 335.
1460 Voir sur ce point Massicard, Elise, « Le politique à l’articulation entre institutions de sécurité et univers
criminel. Les “bandes en uniforme” en Turquie », in Briquet, Jean-Louis, Favarel-Garrigues, Gilles, Milieux
criminels et pouvoir politique. Les ressorts illicites de l’Etat, op. cit., pp. 57-94.
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