L'Etat en jeu - fasopo

Le faible niveau de ressources des familles bénéficiant du système de foyers exclut la
multiplication des activités de l’étudiant à l’extérieur du foyer et de l’université. Ils forment
alors ce qu’on peut identifier comme un complexe institutionnel total ouvert dans lequel
l’ensemble des sphères de la vie sociale des individus est prise en charge 1149 . On y étudie, on
s’y socialise, on s’y détend, on y profite des structures de divertissement qu’ils offrent, on y
organise des manifestations culturelles ou politiques, on y flirte parfois, et la limite entre vie
privée et publique se trouble.
Les organisations en activité à l’université se servent de ces foyers comme lieux de
mise en pratique de l’idéologie qu’elles incarnent et comme sanctuaires. Leurs murs se
couvrent d’affiches et de slogans. Les groupes homogénéisent politiquement les lieux, et
exercent des pressions sur les étudiants ne participant pas aux séminaires qu’ils organisent, ou
sur ceux connus pour leur proximité avec le camp opposé. Le contrôle social exercé par les
groupes porte également sur les pratiques culturelles. Ainsi, certaines musiques sont
conseillées, les lectures sont contrôlées, tout comme le sont la consommation d’alcool, les
pratiques vestimentaires, ou les relations entre étudiants de sexes différents logés dans les
divers bâtiments des foyers. Les groupes idéalistes et d’extrême gauche disposent donc de ces
foyers pour s’y organiser, mobiliser et encadrer leurs militants. Ils y préparent leurs
manifestations, y cachent leurs membres recherchés par les forces de l’ordre, y préparent leurs
tracts et y mènent des activités de formation. L’administration des universités, qui ne dispose
pas des moyens coercitifs nécessaires pour s’imposer aux groupes de militants – parfois armés
– laisse souvent faire, et les forces de l’ordre n’y entrent qu’après des altercations avec les
étudiants.
Sa vie se passant entre sa faculté ou son école et son foyer, l’étudiant subit une forte
ségrégation territoriale et passe la totalité de son temps dans un climat de polarisation
politique très contraignant. Ces foyers étudiants fonctionnant comme des lieux de mise en
pratique des idéologies des groupes en présence, les étudiants subissent de nombreuses
incitations à prendre part aux activités du groupe. C’est la raison pour laquelle le passage par
le foyer étudiant produit quasi automatiquement une modification des pratiques et des
représentations.
C’est le cas pour Rüşen. Il s’inscrit à la Faculté de médecine de l’Université
d’Hacettepe, à Ankara en 1977. Les revenus de sa famille et son origine géographique lui
permettent de demander une place en foyer universitaire. Il est « affecté » au foyer étudiant
1149 Goffman, Erving, Asiles. Etude sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Minuit, 1968.
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