L'Etat en jeu - fasopo

permanente » 1374 . Elle a une forte spécificité territoriale. Son contrôle du territoire, en
concurrence avec l’autorité étatique, est une de ses caractéristiques essentielles. Une des
conséquences principales du phénomène milicien réside alors, nous le verrons, dans la
territorialisation du jeu politique qu’il contribue à faire advenir.
a. L’instrumentalisation des clivages communautaires par les milices
C’est Hamit Bozarslan qui le premier a proposé des éléments de compréhension du
phénomène milicien en Turquie pendant la seconde moitié des années 1970 1375 . Il identifie
plusieurs zones, toutes marquées par une forte segmentarité confessionnelle (alévi/sunnite) ou
linguistique (turc/kurde), dans lesquelles des milices se constituent pour revendiquer le
contrôle de municipalités ou de quartiers de grandes villes et dans lesquelles l’Etat perd son
autorité au profit de ces groupes armés. Il s’agit de quatre sous-ensembles anatoliens dans
lesquels les divisions autour de motifs confessionnels et linguistiques s’incarnent dans le
clivage gauche/droite et se militarisent par la constitution de milices. Le premier ensemble
comprend les provinces de Çorum, Yozgat, Niğde, Nevsehir, Kırşehir, Ordu. Il est marqué par
un clivage alévi/sunnite, sur lequel va se calquer la division politique gauche/droite. Le
deuxième, la « zone rouge », regroupe les provinces de Sivas, Maraş, Malatya, Elazığ,
Erzincan, Tunceli et Bingöl. Dans ces provinces, si la division confessionnelle alévi/sunnites
est également prégnante, elle est doublée d’un clivage kurde/turc. C’est donc autour de ces
principes de divisions que vont se créer des groupes armés désireux d’incarner tel ou tel
versant des clivages confessionnels et linguistiques. Dans une troisième zone, constituée des
provinces de Kars et d’Erzurum, le principe de division politique est linguistique (Bozarslan
note que le clivage confessionnel joue mais n’est pas dominant). Enfin, les provinces kurdes
de Diyarbakır, Urfa et Mardin présentent une relative homogénéité linguistique et
confessionnelle 1376 , mais une forte segmentarité tribale, susceptible d’expliquer la
1374
Volkov, Vadim, « Les entreprises de violence dans la Russie postcommuniste », Politix, Vol. 13, n°49,
premier trimestre 2000, p. 57. Volkov note également que « la ressource de l’entreprise de violence est la
violence socialement organisée, qu’elle soit effective ou potentielle », Ibid.
1375
Bozarslan, Hamit, « Le phénomène milicien, une composante de la violence politique dans la Turquie des
années 1970 », art. cit., pp. 185-244.
1376
Hamit Bozarslan note que « cette région aurait dû avoir, a priori, l’homogénéité ethnique nécessaire pour
rester à l’écart de la “terreur ”. En effet, les Chrétiens, seuls éléments “ hétérogènes ”, si l’on ne compte pas les
quelques rares îlots turcs, sont très peu nombreux. Les Arabes, quant à eux, sont présents uniquement dans les
centres de Mardin et d’Urfa, mais restent en marge de la vie politique et leur poids périclite. Le reste de la région
est sunnite et kurmandji ». Ibid., p. 197.
491