L'Etat en jeu - fasopo

pouvoirs publics sont parfois amenés à négocier leur propre substitution avec les milices.
Selon Hamit Bozarslan :
« Les liens entre les milices et l’Etat en tant que centre d’une part, les milices et le
système politique, de l’autre, ne sont donc nullement rompus, mais en contrepartie,
localement, les principales prérogatives de l’Etat sont complètement paralysées ou
noyautées. Les fonctionnaires d’Etat, venus de loin, ne veulent pas rester sur place ou ne
veulent pas prendre de risques (au demeurant réels) pour leur vie. Dans certains cas, ils
finissent par admettre leur impuissance et mettent en place une stratégie d’alliance
légitimant le noyautage. […] Dans d’autres cas, l’Etat est tout simplement absent » 1383 .
Cette absence de l’Etat, constatée ou obtenue par la mobilisation de la milice, tend à
autonomiser les arènes locales (municipales ou de district) des enjeux et des rapports de force
propres aux autres arènes. Peu à peu, « la municipalité devient, plus que l’occupation d’un
siège de député à Ankara, la source du pouvoir monolithique » 1384 . Tenir un quartier ou
parvenir au mandat municipal donne alors un accès à tout un ensemble de ressources locales,
garanties par l’action des milices. Nous avons vu comment la municipalité de Fatsa s’est
appuyée sur ses milices armées pour exproprier les entreprises publiques situées sur son
territoire ou protéger la ville des intrusions idéalistes. A Çorum, ce sont les milices d’extrême
gauche qui protègent les quartiers alévis lors des événements de l’été 1980, tandis que les
milices idéalistes attaquent physiquement leurs populations afin d’obtenir leur départ et de
bouleverser els rapports de forces politiques municipaux.
c. Encadrement de la population et monopolisation des ressources locales
Un retour sur la genèse de l’encadrement milicien des communautés confessionnelles
et linguistiques de l’Anatolie centrale et orientale permet de comprendre les rôles qu’ont joué
les milices dans les conflits intercommunautaires des villes concernées et les sous-produits
qu’elles ont pu retirer de leurs activités. En attisant les luttes intercommunautaires dans les
zones identifiées par Hamit Bozarslan, et en profitant de l’absence ou du soutien des pouvoirs
publics locaux, des milices se constituent afin de protéger la communauté revendiquée, de la
policer et de la politiser.
1383 Bozarslan, Hamit, « Le phénomène milicien, une composante de la violence politique dans la Turquie des
années 1970 », art. cit., p. 208.
1384 Ibid., p. 209.
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