L'Etat en jeu - fasopo

avec les forces de l’ordre. Comme la plupart des quartiers de gecekondu des plus grandes
villes de Turquie, Çimentepe et Gültepe sont largement délaissés par les pouvoirs publics.
Dans ces quartiers comme dans celui du Premier Mai à Istanbul, des groupes organisés
localement ont réussi à s’y implanter et à se substituer à l’action de la municipalité et de
l’Etat. De nombreux habitants de ces quartiers sont venus s’y installer afin de trouver du
travail dans l’immense coopérative voisine. A Izmir comme dans tous les grands centres
urbains du pays, les migrations se font en groupe (par familles élargies, par village, etc.), et
l’installation dans les quartiers est largement contrôlée par ces groupes. Les populations des
quartiers se caractérisent donc par la multiplicité des liens qui les unissent (géographiques,
politiques, communautaires, etc.). Ces liens multiples, ainsi que la façon dont les GOE locaux
s’y insèrent, expliquent l’élargissement du conflit. Les menaces pesant sur les emplois des
habitants de Çimentepe et Gültepe concernent autant les familles installées dans ces quartiers
que les GOE, exposés à la paupérisation généralisée des territoires qu’ils contrôlent. On
devine alors que l’élargissement de la mobilisation dans ces quartiers se réalise grâce à la
communauté d’intérêts qui unit ouvriers mobilisés, populations et GOE locaux. On peut en
outre penser que le fort soutien que reçoit le mouvement ouvrier auprès des populations des
quartiers de Çimentepe et de Gültepe a en quelque sorte « obligé » les GOE à entrer dans le
mouvement, afin de ne pas perdre leurs positions de pouvoir dans le quartier et leur rôle
d’intermédiaire avec les pouvoirs publics.
Ce sont donc les membres des GOE locaux qui coupent la route aux renforts des
forces de l’ordre le 10 février, qui s’attaquent aux membres et aux locaux des partis de
l’ancien gouvernement de Front nationaliste, et qui s’introduisent armés dans les usines de
productions de Tariş pour affronter les forces de l’ordre auprès des ouvriers. Quand les
barricades sont cassées, et quand l’usine est investie par la police et la gendarmerie, c’est dans
leurs quartiers de gecekondu que les GOE et les ouvriers mobilisés se retranchent. Ils
connaissent le territoire, sont soutenus, cachés ou encouragés par la population locale et
disposent donc de davantage de moyens pour tenir tête aux forces de l’ordre. Les positions
locales des GOE, ainsi que l’autonomie relative dont ils ont bénéficié pour exercer leur
contrôle sur les flux de population et les échanges économiques dans les quartiers de
Çimentepe et de Gültepe permettent ainsi de comprendre comment la « résistance de Tariş »
s’est transformée. D’abord mouvement ouvrier « conventionnel » et localement situé sur les
sites de la coopérative, elle est devenue un conflit armé se déroulant sur des sites nouveaux
(les quartiers de gecekondu) et faisant intervenir des acteurs d’abord étrangers au mouvement
(les GOE locaux).
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