L'Etat en jeu - fasopo

municipalité). Le Mouvement nationaliste parvient ainsi à « tirer son épingle du jeu »
municipal en garantissant à l’AP la paix sociale dans la ville, s’il le faut grâce à l’usage de la
force. C’est ce qui se passe lorsque le système d’action idéaliste local apporte son soutien au
directeur de l’usine Pişkin, lorsque celui-ci s’en remet à la MİSK pour maintenir l’ordre dans
l’usine et obtenir la fermeture du syndicat affilié à la DİSK. Les activités de violence
physique que peuvent mettre en œuvre les idéalistes leur permettent ainsi de garder une
position dominante dans le rapport de force qui l’oppose au nouveau syndicat. La violence
fonctionne donc comme une modalité d’action dans le jeu politique local, dont la mobilisation
permet à chacun des acteurs de la coalition AP/MHP locale de garder la main sur les positions
qu’ils occupent dans différentes arènes ou d’en conquérir de nouvelles.
Les institutions déconcentrées de l’Etat sont donc clivées en interne, puisqu’elles sont
le théâtre de luttes d’intérêts entre associations des systèmes d’action antagonistes dont les
membres politisent leurs pratiques professionnelles ; tandis que les rapports de forces qu’elles
abritent pendant l’année 1978 – favorables aux organisations alliées au CHP – les portent à
entrer en concurrence avec les personnels des institutions dont le recrutement est municipal.
Cette situation est tout à fait remarquable le matin du 23 décembre 1978, lorsque les policiers
envoyés par le préfet pour instaurer un couvre feu pendant l’enterrement des trois idéalistes
tués la veille se heurtent au refus des agents municipaux d’appliquer la décision. La police est
ainsi considérée comme une institution politisée et partisane par les militants idéalistes
rassemblés près de la Sublime Mosquée. Les 300 idéalistes qui font face aux forces de l’ordre
avant de s’attaquer aux boutiques alévies de la place de Chypre, scandent alors les slogans
classiques de leur répertoire (« Turquie nationaliste ! », « Mort aux communistes ! »), mais ils
visent également la police (« Police communiste ! ») 1428 . Les officiers suspectés d’accointance
avec les alévis ou les organisations d’extrême gauche sont ainsi poursuivis et battus. Le même
jour, un imam, dressé sur un véhicule des services techniques de la municipalité, déclare à la
foule : « Des policiers sans valeurs ont torturé nos enfants ! Enfants héroïques de la Turquie
musulmane et de Kahramanmaraş, prenez notre revanche sur les communistes ! » 1429 .
Si les employés municipaux prennent part aux altercations, les fonctionnaires des
institutions déconcentrées de l’Etat s’y engagent également. Ainsi, le directeur de
l’Organisation des routes, de l’eau et de l’électricité (Yol Su Elektrik) Fevzi Onaç et ses
collègues seront condamnés pour avoir dirigé des attaques contre les usines Pak-Tuz et Eser
Bulgur, considérées comme des hauts lieux idéalistes de la ville, et attaqué à l’arme à feu les
1428 Gürel, Burak, « “Communist Police !” The State in the 1970s Turkey », art. cit., p. 9.
1429 Ibid.
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