L'Etat en jeu - fasopo

B. La violence comme mobilisation de ressources dans le jeu politique : le
« massacre de Kahramanmaraş »
Dans un contexte global de captation des ressources des institutions publiques, de
multiplication des mobilisations multisectorielles, de politisation des pratiques des agents de
la fonction publique et de désobjectivation de l’Etat (aux yeux des populations, comme acteur
unifié et doté des moyens d’assurer la protection), l’intensification des activités de violence
physique contribue à changer les règles – certes non formelles – du jeu politique. En outre, ce
sont parfois les mêmes acteurs collectifs dont les membres politisent leurs pratiques
professionnelles dans la fonction publique, animent et coordonnent les mobilisations
sectorielles, mettent en œuvre des activités de captation des ressources étatiques et participent
à l’échange physique de coups. Dans un contexte politique où l’Etat ne dispose plus des
moyens nécessaires pour revendiquer le monopole de la violence physique sur son territoire,
la violence devient un mode efficace d’accumulation de ressources, que chacun semble
interpréter comme tel 1392 .
Les institutions publiques, noyautées par les militants des deux systèmes d’action
étudiés, ne sont pas en mesure d’assurer l’autorité de l’Etat. Elles perdent la main sur des
populations qu’elles administraient à distance, par l’intermédiaire d’élites traditionnelles
désormais hors-jeu. A partir du moment où leurs personnels sont partie prenante dans des
luttes politiques (qui sont également des luttes pour l’accès aux emplois), que les citoyens les
considèrent comme défenseurs d’intérêts particuliers et qu’ils agissent en faveur de l’un ou de
l’autre des deux grands ensembles coalitionnels de gauche ou de droite 1393 , la violence semble
devenir un mode d’action envisageable pour assurer sa propre protection et concourir pour
l’accès aux ressources captées par le camp adverse. Les logiques de l’échange de coups
violents sont donc amplement déterminées par celles du champ étatique. Par ailleurs, nous
l’avons vu dans la première section du chapitre, la répartition territoriale des victimes des
affrontements dépend de l’état des rapports de forces politiques locaux. Les logiques de
l’échange de coup sont donc également fortement liées aux logiques du champ politique. Il ne
s’agit pas de nier que l’action armée est porteuse de logiques propres. Des organisations
armées sont hors de contrôle, les actes de violence contextuelle se multiplient dans des arènes
1392 Le CHP et l’AP doivent ainsi combattre la violence pendant leurs mandats gouvernementaux, mais
s’assurent de garder la main sur leurs fiefs électoraux en profitant de l’action des milices des GOE ou du MHP,
et du soutien des militants lors des élections municipales ou législatives.
1393 Sur ce point, l’exemple du comportement des policiers membres de Pol-Der et Pol-Bir est édifiant.
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