Dr Bloodmoney
Dr Bloodmoney
Dr Bloodmoney
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
L’évocation du pâté de chien rappela à Stuart que son<br />
estomac criait famine. Il lui semblait qu’il n’avait jamais cessé<br />
d’avoir faim depuis la première bombe. Son dernier repas digne<br />
de ce nom avait été son déjeuner chez Fred, le jour où il avait eu<br />
droit au numéro truqué de voyance du phoco. Et qu’était-il donc<br />
devenu, le petit phoco ? se demanda-t-il soudain. Il n’y avait<br />
plus songé depuis des années.<br />
Bien sûr, à présent, on en rencontrait beaucoup, des<br />
phocomèles, et presque tous sur leurs phocomobiles,<br />
exactement comme Hoppy autrefois, installés en plein milieu de<br />
leur petit univers, comme des dieux sans bras ni jambes. Leur<br />
vue répugnait toujours à Stuart, mais il y avait maintenant tant<br />
de spectacles répugnants… Ce n’en était qu’un parmi tant<br />
d’autres. Ce qui le choquait le plus, concluait-il, c’était la vue de<br />
symbiotes déambulant dans les rues, plusieurs personnes<br />
fondues ensemble par un point quelconque de leur anatomie et<br />
partageant leurs organes. C’était une sorte de perfectionnement<br />
à la Bluthgeld des antiques frères ou sœurs siamois… mais à<br />
présent cela ne se bornait plus à deux individus. Il en avait vu<br />
jusqu’à six ainsi unis. Et ces fusions étaient effectuées non pas<br />
dans la matrice, mais peu après. Cela sauvait la vie des êtres<br />
imparfaits, de ceux qui naissaient dépourvus de certains<br />
organes essentiels et auxquels il fallait une liaison symbiotique<br />
pour survivre. Maintenant, un même pancréas servait à<br />
plusieurs personnes… Triomphe de la biologie ! Mais, de l’avis<br />
de Stuart, on aurait dû tout simplement laisser mourir les<br />
incomplets.<br />
À la surface de la Baie, sur sa droite, un ancien combattant<br />
amputé des deux jambes se propulsait sur un radeau en<br />
direction de ce qui était sûrement une épave de navire. On<br />
voyait de nombreuses lignes sur la coque ; elles appartenaient<br />
au vétéran qui allait les inspecter. En suivant des yeux le radeau,<br />
Stuart se demandait s’il serait assez solide pour le conduire sur<br />
la rive de San Francisco. Stuart était en mesure d’offrir à<br />
l’homme un demi-dollar pour l’aller simple. Pourquoi pas ? Il<br />
descendit de son véhicule et s’avança jusqu’au bord de l’eau.<br />
— Hé ! hurla-t-il. Venez voir !<br />
- 114 -