Dr Bloodmoney
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nationale et faire appel à la Croix-Rouge et à l’Armée. Nous<br />
nous en souviendrons jusqu’à notre dernier jour. Tout en<br />
avançant, elle se mit à pleurer, le visage dans les mains, ne<br />
voyant plus où elle allait, et ne s’en souciant plus. Ce n’était plus<br />
sur elle-même et la ruine de sa maison qu’elle pleurait. C’était<br />
pour la ville au sud. Pour tous ses habitants et tout ce qui s’y<br />
trouvait et ce qui y était arrivé.<br />
Elle savait qu’elle ne la verrait jamais plus. Il n’y avait plus<br />
de San Francisco. Fini. La fin était survenue ce jour même. Les<br />
larmes aux yeux, elle errait mais se rapprochait quand même du<br />
bourg. Elle entendait déjà des voix monter de la plaine. Elle se<br />
guida sur le son.<br />
Une voiture s’arrêta près d’elle. La portière s’ouvrit. Un<br />
homme lui tendit la main. Elle ne le connaissait pas. Elle<br />
ignorait même s’il vivait dans la région ou ne faisait que passer.<br />
De toute façon, elle se serra contre lui.<br />
— Ça ira, lui dit l’homme en la prenant par la taille.<br />
Elle se rapprocha encore de lui en sanglotant, se tassant<br />
contre le siège et l’attirant sur elle.<br />
Plus tard, elle se retrouva en marche, cette fois sur un<br />
chemin étroit bordé de chênes, les vieux troncs rabougris qu’elle<br />
aimait tant. Le ciel était gris, sinistre, traversé de lourds nuages<br />
qui dérivaient en une monotone procession vers le nord. Ce doit<br />
être le chemin du Ranch de la Vallée de l’Ours, se dit-elle. Elle<br />
souffrait des pieds et, quand elle s’immobilisa, elle constata<br />
qu’elle était déchaussée ; elle avait perdu ses chaussures<br />
quelque part en chemin.<br />
Elle portait encore le pantalon taché de peinture qu’elle avait<br />
quand s’était produit le séisme, quand la radio s’était arrêtée.<br />
Mais était-ce bien un séisme, après tout ? L’homme, dans la<br />
voiture, effrayé et balbutiant comme un bébé, avait parlé d’autre<br />
chose, mais c’était trop embrouillé, trop chargé de panique pour<br />
qu’elle ait compris.<br />
Je veux rentrer à la maison, se dit-elle. Je veux être chez moi<br />
et je veux mes chaussures. Je parie que cet homme les a<br />
emportées. Je parie qu’elles sont restées dans sa voiture. Et je<br />
ne les reverrai pas.<br />
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