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LE RAVISSEMENT DE TYLER MARSHALL
bicyclette pour aller voir. Les branches les plus longues chuchotent
contre le guidon tandis qu’il pédale sans hâte.
Une grosse fraise, avec, écrit en dessous : « C’est aujourd’hui la
fête des Fraises ! » Le garçon se demande ce que c’est. Une fête
exclusivement réservée aux vieux, peut-être ? C’est une question, mais
elle n’a pas grand intérêt. Après l’avoir tournée dans sa tête quelques
secondes, il s’apprête à revenir sur l’artère principale.
Charles Burnside est entré aux toilettes de l’aile Marguerite, le
caillou de Butch dans son poing, arborant toujours ce sourire
sardonique. À droite, une rangée de lavabos, chacun surmonté d’une
glace bon marché comme on en voit dans les W.-C. d’autoroute. L’une
d’elles lui renvoie son reflet grimaçant. Dans celle qui est tout au bout
de la pièce, près de la fenêtre, il aperçoit un garçon vêtu d’un tee-shirt à
l’emblème des Brewers. Juché de côté sur son vélo, il lit l’écriteau
annonçant la fête des Fraises.
Bumy se met à baver. Il n’a rien de discret, là non plus. Il bave
comme un loup de dessin animé, lâchant des filets de salive blanchâtres
qui couvrent sa lippe couleur de foie malade et moussent sur son
menton. Sans quitter le miroir des yeux, il s’essuie et secoue sa main
noueuse au-dessus du sol. Ce garçon n’est pas l’un des pauvres enfants
perdus de la créature, puisque Ty Marshall n’a jamais quitté French
Landing de sa vie et sait parfaitement où il se trouve, mais il pourrait le
devenir. Se perdre et terminer dans certaine pièce, certaine prison... Ou
bien se traîner vers un horizon brûlant sur ses petits pieds tout sanglants.
Surtout si Bumy s’en charge. Il devra agir vite, mais, ainsi que
nous l’avons déjà noté, Charles Burnside est capable de la plus grande
rapidité en cas de nécessité.
— Gorg, annonce-t-il à la glace. Un mot absurde prononcé avec
un accent du Midwest parfaitement reconnaissable. Viens, Gorg.
Et, sans prendre la peine de regarder ce qui va suivre, car il le sait
déjà, il pivote, se dirige vers les stalles, entre dans la deuxième à partir
de la gauche et referme la porte derrière lui.
Tyler s’apprête à donner un coup de pédale lorsque, à trois mètres
de l’écriteau, la haie s’agite. Un gros corbeau émerge des branchages et
avance sur le trottoir en observant le garçon d’un œil intelligent.
L’oiseau étend ses ailes noires, ouvre son bec et... parle.
— Gorg !
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