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BIENVENUE AU PAYS DES RAVINS
Elle observe l’ombre des arbres qui danse sur le plafond en
dessinant des formes et des visages, des visages et des formes.
— L’œil du Roi, répète-t-elle, et, à ce moment, ses mains se
tordent, se pressent, se pétrissent, se creusent... Abbalah ! Les renards
dans leurs terriers ! Abbalah-doun, le Roi Écarlate. Les rats dans leurs
trous ! Abbalah Moonshoon ! Le Roi est dans son donjon, il mange du
pain et du miel ! Les Casseurs dans la cave, à ravaler leur fiel !
Elle secoue la tête de droite à gauche. Ah, ces voix ! L’obscurité
d’où elles émergent. Parfois, elle se réveille avec une image qui brûle
derrière ses yeux, la vision d’une haute tour couverte d’ardoises au
milieu d’un champ de roses. D’une mer de sang. Et alors la voix
commence dans sa gorge, le langage, le témoignage, ces paroles qu’elle
ne peut comprendre ni même contrôler, un flot de mots connus et de
charabia.
— Trament, trament, traînent... Les petits qui se traînent sur leurs
petits pieds en sang... Oh, Seigneur, est-ce que ça ne s’arrêtera jamais ?
Sa langue bondit plus haut, lèche le bout de son nez. Un instant, ses
narines sont bouchées par sa propre salive et sa tête bourdonne.
— Abbalah, Abbalah-doun, Can-tah Abbalah.
Avec ces mots terriblement étrangers reviennent les images
terribles de la Tour et des grottes en feu, au-dessous, là où se traînent de
petits pieds en sang... En esprit, elle a mal pour eux, mais il n’y a qu’un
moyen de les arrêter, un seul moyen d’obtenir un soulagement.
Judy Marshall se redresse. Sur la table de nuit, il y a une lampe, le
dernier roman de John Grisham, un petit bloc-notes, cadeau
d’anniversaire de Ty, dont chaque page est ornée du titre « Voici encore
une idée géniale ! » et un stylo à bille estampillé Sheraton La Riviere.
Elle s’en empare pour écrire en hâte sur le bloc : « Pas d’Abbalah
pas d’Abbalah-doun pas de Tour pas de Casseurs pas de Roi rien que
des rêves juste mes rêves. »
C’est suffisant, mais les stylos sont aussi des chemins pour aller on
ne sait où. Avant qu’elle ait eu le temps de séparer la pointe du papier,
l’instrument a écrit encore une ligne : « Black House est le seuil vers
Abbalah l’entrée de l’Enfer Shéol Moonshoon tous ces mondes et ces
esprits. »
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