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TERRITOIRES
ici, ma caille. Je reviens tout de suite. Les paupières de Judy retombent ;
il se dit qu’elle va s’endormir, mais soudain elles s’entrou-vrent encore
et restent mi-closes. Repose-toi. Ne bouge pas. Ça suffit pour
aujourd’hui. Tu as flanqué une de ces trouilles à la voisine, Enid Purvis,
tu sais ? Promets-moi.
— Promis...
Les yeux de Judy se sont fermés.
L’oreille aux aguets, Fred va dans la salle de bains contiguë. Elle a
l’air assommée, mais il reste vigilant ; on dit que les psychopathes sont
pleins d’ingéniosité. Or, malgré sa prodigieuse capacité à se bercer
d’illusions, il est désormais obligé de reconnaître la condition mentale
de Judy. Folle ? Totalement cinglée ? Sans doute non, mais, en tout cas,
elle déraille. Elle déraille « momentanément », corrige-t-il tout en
ouvrant l’armoire à pharmacie.
Il s’empare du flacon de mercurochrome, inspecte du regard les
quelques médicaments alignés sur l’étagère du haut, repère la boîte de
comprimés tout à fait à gauche. Sonata, vendu par la pharmacie de
French Landing à partir d’une ordonnance du docteur Patrick J. Skarda.
Ne pas prolonger l’usage de ce médicament plus de quatre nuits.
Dans la glace de l’armoire, il ne peut surveiller la totalité du lit,
mais il en voit l’extrémité, au moins, où repose un des pieds de Judy.
Bien, très bien. Il fait tomber un comprimé dans sa paume et enlève les
brosses à dents du verre parce qu’il n’a pas l’intention de la laisser seule
le temps d’aller en chercher un en bas.
Revenu dans la chambre avec le flacon, le verre plein d’eau et le
comprimé, il observe sa femme endormie, le souffle si léger qu’il doit
poser la main sur sa poitrine pour s’assurer qu’elle respire toujours. Il
hésite avant de chuchoter :
— Judy ! Réveille-toi une seconde, chérie. Juste le temps de
prendre un cachet...
Elle reste d’une immobilité absolue et Fred s’abandonne à un
optimisme hésitant devant la rapidité avec laquelle elle a basculé dans le
sommeil. C’est comme si une affreuse capsule de poison avait éclaté en
elle, la laissant épuisée peut-être, mais libérée. Depuis des semaines,
l’insomnie la minait, d’où la présence des tranquillisants à la maison. À
présent, elle paraît plongée dans un sommeil normal - qui sait si elle ne
s’en réveillera pas... normale, à nouveau ? Qui sait si l’anxiété
accumulée pendant cet été du Pêcheur ne vient pas d’atteindre le
paroxysme avant la décrue ? En
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