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TERRITOIRES
compose une harmonie parfaite, émouvante, étrangement
reconnaissable.
Cette beauté est inattendue, renversante. Une fraction de seconde,
elle immobilise Jack dans la nostalgie fragmentaire d’un autre visage.
Grâce Kelly ? Catherine Deneuve ? Non, pas vraiment. Soudain, Jack a
le sentiment que Judy lui rappelle un être qu’il n’a pas encore rencontré.
Mais Fred Marshall se redresse et les traits de sa femme perdent leur
royal détachement tandis qu’elle le regarde s’installer à côté d’elle sur le
banc, et Jack s’ébroue en se disant qu’il s’est laissé aller à d’absurdes
rêveries.
Elle ne lève les yeux qu’une fois Jack face à elle. Et alors, malgré
la chevelure sale, la vieille chemise de nuit en dentelle bleue qu’elle
porte sous la blouse verte, elle le conquiert au premier regard. Une
secousse électrique le traverse, depuis le nerf optique jusqu’à ses
extrémités ; toutes ses défenses sont abattues ; il doit reconnaître qu’il
n’a jamais, jamais vu une femme aussi belle. La réaction est si forte
qu’il craint de s’affaler par terre ou, pis encore, de trahir son émoi.
Brooke Greer, Claire Evinrude, Iliana Tedesco, toutes étaient
splendides. Pourtant, comparées à cette apparition, elles font figure de
petites filles en costume de Halloween. Judy les éclipse, les change en
toquades dérisoires, en insignifiantes créatures torturées par un ego
démesuré et incertain. Sa beauté n’est pas de celle que renvoient les
miroirs. Elle naît avec une sidérante simplicité de son identité la plus
profonde. Ce que l’on voit d’elle n’est que le reflet d’une grandeur
incommensurable, radieuse.
Jack a du mal à croire que le gentil Fred Marshall a eu la chance
incroyable de rencontrer et d’épouser cette femme. A-t-il conscience de
ce qu’elle a de « merveilleux », au sens propre du terme ? Il en est
tombé amoureux au moment même où il l’a aperçue au fond de cette
grande salle. Mais c’est impossible, évidemment. Elle est l’épouse de
Fred, la mère de leur fils. Il devra vivre sans elle, qui vient de prononcer
une phrase dont il ne comprend pas le sens. Il se penche en marmonnant
une excuse ; elle lui offre un sourire et une invite gracieuse à s’asseoir
devant elle. Il s’exécute, plie ses jambes en tailleur et s’assoit sur le sol,
encore hébété par sa découverte.
L’expression de Judy lui montre qu’elle a compris ce qu’il
ressentait et que c’est bien ainsi, qu’elle ne lui en veut pas. La bouche
de Jack s’ouvre pour une question, n’importe laquelle, même la plus
stupide, plutôt que de rester à contempler en silence ce visage
admirable. Et, tandis qu’il cherche ses mots, une réalité
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