Télécharger (vers l`aval) livre électronique - Ebooks-numeriques.fr

TERRITOIRES
toujours sa main, il se penche pour l’embrasser, comme Judy, tout à
l’heure, dans l’autre monde, et ses lèvres rencontrent la gaze de
pansements. Sur trois des doigts de Sophie. Il voudrait la prendre dans
ses bras, mais il est trop intimidé par sa beauté, sa prestance. Elle est un
peu plus grande que Judy, semble-t-il, sa chevelure est plus claire, une
cascade de miel jaillie de la ruche, à peine retenue par un peigne cassé.
Elle porte un simple peignoir en coton blanc ourlé d’un bleu qui rappelle
celui de ses yeux. Ses jambes sont nues au-dessous des genoux ; une de
ses chevilles est ornée d’une chaîne d’argent. Sous le modeste décolleté
en V, ses seins paraissent plus lourds que ceux de Judy, et ses hanches
sont plus rondes, à peine. Des sœurs, pourrait-on dire, mais non, c’est
autre chose car elles ont exactement les mêmes taches de rousseur sur le
nez, la même cicatrice blanche sur le dos de la main gauche. Et Jack est
certain que, si les deux anciennes blessures ont une cause différente,
elles ont été subies à la même heure du même jour.
— Vous êtes sa gémelline. La gémelline de Judy Marshall.
Le mot, tel qu’il est sorti de ses lèvres maladroites, pourrait
être « violine », et par la suite, en pensant aux cordes vibrant si près
l’une de l’autre, il se dira que ce n’est pas totalement ridicule,
finalement...
La bouche soudain contractée, elle baisse les yeux, les relève, tente
un sourire.
— Judy... De l’autre côté du mur. Nous parlions souvent
ensemble, jadis. Et même quand nous avons grandi, mais alors
seulement en rêve... Navré, il voit les larmes perler sur ses cils et rouler
sur ses joues. Est-ce que je l’ai fait souffrir, Jack ? Poussée dans la folie
? Dites-moi non, je vous en prie.
— Mais non. Elle est au bord du gouffre, mais elle n’est pas
tombée, pour l’instant. Elle a de la ressource.
— Il faut que vous lui rameniez Tyler. Pour elle, pour moi, pour
nous deux. Je n’ai pas eu d’enfant, vous savez. Je ne peux pas en avoir.
J’ai été... maltraitée. Dans ma jeunesse. Par quelqu’un que vous
connaissiez bien.
Jack comprend, avec une terrible précision. Autour d’eux, les
voiles du pavillon déchiqueté s’agitent dans l’air parfumé.
— C’était... Morgan ? Morgan d’Orris ?
Elle détourne le visage et c’est peut-être mieux ainsi car un rictus
de haine est venu à Jack. Il voudrait pouvoir tuer encore une fois le
gémellin de Morgan Sloat. Il voudrait lui demander des détails mais se
rend compte qu’il n’en a pas besoin.
394