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LE RAVISSEMENT DE TYLER MARSHALL
et poursuivent leur route. S’ils avaient ne serait-ce que tourné
brièvement la tête, ils auraient eu un aperçu de la structure en ruine, de
la voiture du chef de la police garée devant, du pick-up bordeaux que
Wendell Green a immédiatement reconnu, et des hommes qui se
tiennent devant le restaurant effondré. Il y a là Dale Gilbertson et le
propriétaire du Dodge, Jack « Hollywood » Sawyer, ce frimeur de Los
Angeles. Il y a aussi un type en gilet de soie, chapeau marron glacé et
lunettes de soleil, aussi déplacé dans ce décor que le serait un acteur
sorti d’un film avec Humphrey Bogart. Non, ils ne daignent pas jeter un
regard, les cinq motards. Aussi déterminés qu’une meute de chiens
affamés, ils vont jusqu’à l’endroit où la route est dégagée et là, d’un
seul mouvement, effectuent un demi-tour dans un grand panache de
poussière, avant de repartir d’où ils venaient.
« Que je sois damné, se dit Green, Le Pif renonce ! Quelle
mauviette... » Le groupe des patibulaires sur deux-roues grossit
dangereusement dans son champ de vision. Bientôt, le journaliste
distingue sous le casque les traits sombres de Saint Pierre, de plus en
plus massifs à mesure qu’il se rapproche. « J’aurais jamais cru que tu te
serais dégonflé », lance Wendell à son pare-brise. Le vent de la course
sépare la barbe du Pif en deux pointes. Derrière ses lunettes de motard,
ses yeux ont la même expression que s’il était en train de viser quelque
chose au fusil ; les entrailles de Wendell se crispent dangereusement
quand il imagine qu’il pourrait les braquer sur lui. « Minable », dit-il
tout de même d’une voix mal assurée que noie le rugissement des
Harley.
Cette preuve patente de la lâcheté du Pif lui réjouit le cœur tandis
qu’il les regarde s’éloigner dans son rétroviseur. Et puis une idée se
présente qu’il ne peut ignorer. Sans être l’Edward R. Murrow de notre
temps, Wendell fait son métier depuis près de trente ans, de quoi
développer certains réflexes. L’idée poursuit son chemin dans sa tête,
allumant divers signaux d’alarme jusqu’à devenir une certitude. Il a
pigé.
« Saperlipopette ! » Avec un coup de klaxon triomphant, il braque
à gauche, effectuant un demi-tour cahotant qui ne laisse que des dégâts
mineurs sur son pare-chocs et celui de la voiture qui le précédait. « Ah,
petit comploteur ! » crie-t-il dans un ricanement de joie. Engagée
maintenant en direction de l’ouest, la Toyota part en toussotant à la
poursuite des malins motards.
Il n’aura pas à ramper dans le maïs ; ce petit futé de Saint Pierre
connaît un autre accès ! Notre journaliste vedette n’a qu’à le
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