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TERRITOIRES
Mais la maison est trop vide, trop calme, et Fred Marshall a
peur.
Remettre la chambre en ordre lui prend plus de temps qu’il ne
l’avait prévu. Judy a vraiment produit l’effet d'un ouragan, ici.
Comment quelqu’un d’aussi frêle peut-il receler autant de force ? Est-ce
l’énergie de la démence ? Peut-être, mais, de toute façon, Judy n’en a
pas besoin ; quand elle a pris une décision, elle l’applique toujours avec
une formidable puissance.
Deux heures plus tard, l’ordre est revenu à l’exception du bout de
mur écorché, là où le gamin avait accroché son affiche irlandaise. Assis
sur le lit refait, Fred se dit que, plus il la regarde, plus il a du mal à
supporter cette écharde de plâtre qui pointe dans le papier peint avec la
même impudeur qu’un os fracturé à travers la peau outragée. Il a
nettoyé les traces de sang, certes, mais il ne peut rien faire pour effacer
les coups d’ongle. « Si, je peux ! » se corrige-t-il.
L’armoire de Tyler, en acajou massif, leur vient de l’héritage d’un
lointain parent du côté de Judy. La déplacer seul n’est pas une mince
affaire, mais elle est exactement ce dont Fred a besoin. Après avoir
glissé un bout de moquette inemployé sous les pieds du meuble pour ne
pas rayer le parquet, il le tire jusqu’au mur blessé. L’armoire masque
presque entièrement les dégâts et Fred se sent soulagé. Il a retrouvé un
équilibre. Tyler n’est pas rentré déjeuner
- il n’avait pas vraiment de raison de le faire. Il sera là à 4 heures, au
plus tard. À la maison pour dîner. Sûr et certain.
Il retourne dans la chambre à coucher en se massant les reins. Judy
n’a toujours pas bougé. Une fois encore, il pose une main inquiète sur
sa poitrine. Elle respire lentement, mais régulièrement. Parfait. Il
s’étend près d’elle, porte la main à son cou pour relâcher le nœud de
cravate et ne rencontre que le vide. Il lâche un petit rire silencieux. Elle
est restée au bureau, avec sa veste. Quelle journée de folie, décidément !
C’est si bon de se reposer un peu dans la fraîcheur de la climatisation,
en attendant que la douleur dans le dos s’en aille. Cette armoire était
une plaie, mais il est content de l’avoir bougée. Il ne va pas sombrer,
maintenant, il est bien trop tendu, et puis la sieste, ce n’est pas son
genre...
Et, finalement, il s’endort. À son côté, plongée dans son propre
sommeil, Judy se met à chuchoter. « Gorg, abbalah, le Roi Ecarlate... »
Et un prénom de femme.
Sophie.
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