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TERRITOIRES
pourpre - soigneusement pliée, George Potter peut se consacrer
entièrement à sa bière. De sa place derrière le juke-box, il n’a pas
remarqué l’irruption des trois hommes armés, vêtus de ce qui ressemble
à s’y méprendre à des gilets pare-balles. Un seul d’entre eux est en
uniforme.
— George Potter ?
L’intéressé lève les yeux. Avec son verre dans une main et le
pichet dans l’autre, il est piégé.
— Ouais, et alors ?
L’instant suivant, il est saisi par les épaules, relevé de force. Ses
genoux tapent contre la table et la renversent, envoyant l’assiette et le
pichet au sol. La première se brise, le second résiste au choc. Une
femme pousse un cri. Un « waouh ! » respectueux est discrètement
proféré.
Tom Lund retire son verre, arme potentielle, au bonhomme. Dale
Gilbertson referme les menottes sur ses poignets et s’accorde le temps
de penser qu’il n’a jamais entendu plus beau bruit. Son tracteur
personnel a finalement retrouvé de la traction, de Dieu ! Comparée au
plantage de Chez Ed, l’intervention est un miracle de précision et
d’efficacité. En moins de dix secondes, Potter est emporté, sans que ses
pieds touchent le sol, d’un côté par Tom Lund, de l’autre par Bobby
Dulac. Pendant ce temps, Dale lui débite ses droits constitutionnels à la
cadence d’un commissaire-priseur sous amphétamines.
Jack Sawyer est vivant, complètement vivant, pour la première fois
depuis ce jour de sa douzième année où il avait atterri à l’arrière d’une
Cadillac Eldorado conduite par un loup-garou. Il a l’intuition qu’il
devra payer chèrement cette vitalité retrouvée, mais il a bon espoir de
tenir le coup quand le moment viendra. Et qu’importe, parce que,
soudain, ce qui lui reste à vivre paraît tellement... gris.
Il est debout près de son pick-up, à côté de Henry. L’air est lourd
d’humidité mais aussi de tension. Les ampoules bleutées des
lampadaires grésillent comme une poêle sur le feu.
— Henry ?
— Au rapport.
— Tu connais Amazing Grâce, l’hymne ?
— Bien sûr ! Qui ne le connaît pas ?
— « J’étais aveugle, mais désormais je vois. » C’est seulement
maintenant que je comprends ça.
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