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TERRITOIRES
Les nerfs de ses doigts, de ses mains, de ses poignets et de ses
avant-bras ne répondent plus, soudain. Son visage a pâli si fort que, sur
ses joues, les veines sont apparentes. C’est certainement un miracle
qu’elle ne s’évanouisse pas. Le papier lui échappe et tombe en voletant.
En criant le nom de son fils, elle soulève d’un coup le couvercle.
Des anneaux d’intestin rouge vif qui grouillent de mouches. Les
sacs dégonflés des poumons et la pompe grosse comme un poing qui a
été le cœur d’un enfant. La masse écarlate du foie. Et un rein, un seul.
Ce tas d’entrailles vrombit et le monde n’est plus que gorg, gorg, gorg...
Dans le calme lumineux de sa cuisine, Judy Marshall se met à
hurler, et ce qu’on entend, c’est la voix de la folie enfin libérée de sa
pauvre cage, de la folie à lier.
Butch Yerxa avait seulement l’intention d’en griller une avant de
revenir à son travail, parce qu’il y a toujours tant à faire le jour de la fête
des Fraises... Encore qu’il ne la déteste pas autant que Pete Wexler,
cette petite festivité inventée de toutes pièces. Mais Petra English, une
infirmière de l’autre bâtiment, est venue musarder par là, ils se sont mis
à parler motos et, voilà, vingt minutes ont passé comme une.
Après s’être excusé auprès d’elle, Butch retourne à son poste pour
une désagréable découverte : Charles Burnside, nu comme un ver, est
debout près du bureau de garde, une main posée sur l’objet dont Butch
se sert comme presse-papiers. C’est son fils qui le lui a fabriqué en
colonie de vacances l’année précédente ou, plus exactement, qui a peint
les quelques mots écrits dessus. Butch l’adore, ce caillou. Il n’a rien
contre les pensionnaires, Butch. Il boxerait certainement Wexler s’il
savait comment il éteint ses cigarettes, sans parler de le dénoncer. Mais
il n’apprécie pas que les vieux touchent à ses affaires. Surtout ce
numéro-là, qui peut devenir franchement mauvais quand il a ses
vapeurs. Ce qui est le cas en cet instant, Butch le voit dans ses yeux. Le
véritable Charles Burnside est sorti prendre l’air, en l’honneur de la fête
des Fraises, qui sait ?
Et, à propos de fraises, Burny a visiblement commencé à piocher
dedans ; il y a des traces rouges sur ses lèvres et dans les rides creusées
autour de sa bouche. Ce ne sont pas ces taches-là qui ennuient Butch,
quoique. Il y en d’autres, sur l’anatomie du vieux. Marron foncé.
— Vous voulez bien enlever votre main de là, Charles ?
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