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TERRITOIRES
Jack hoche la tête, Potter aussi. Ils ne sont pas encore de vrais
amis, mais presque. C’est ainsi que Jack travaille. Depuis toujours.
— Cette saloperie, ça se met quelque part et ça attend. À mon
avis, ça ne repart jamais, pas pour de bon. Enfin, moi, les injections, les
cachets, c’est de l’histoire ancienne. Sauf contre la douleur. Et je suis
venu terminer ici
— Pourquoi ?
Elle n’est pas indispensable, cette question, et son temps est
compté, mais elle est partie intégrante de sa méthode et il ne va pas en
changer maintenant sous prétexte que deux caïds de Madison piaffent à
l’étage du dessous. Dale a promis de s’en charger, c’est son affaire
— Ça m’a paru la petite ville tranquille. Et puis j’aime le fleuve.
J’y vais tous les jours. Regarder le soleil jouer sur l’eau. Des fois, je
pense à tous les endroits où j’ai travaillé, Wisconsin, Minnesota,
Illinois, des fois je pense à rien, je reste assis sur la berge et je me sens
en paix.
— Vous travailliez dans quoi, Mr. Potter ?
— J’étais charpentier, comme Jésus. Puis je suis passé
entrepreneur, et j’ai attrapé la grosse tête. Quand ça arrive, on se baptise
promoteur. Je me suis fait trois, quatre millions, j’avais une Cadillac,
j’avais une jeunette qui venait me retrouver les vendredis soir. Une belle
petite. Pas d’histoires. Et puis j’ai tout perdu. J’ai regretté que la
bagnole. Encore mieux qu’une femme. Finalement, j’ai appris la
mauvaise nouvelle et je suis arrivé ici... Vous savez ce que je pense ? Je
pense que French Landing, c’est assez près d’un monde meilleur, là où
tout paraît mieux. Et p’têt’ que les gens sont vraiment meilleurs, ici. Je
me mêle pas trop, je suis pas du genre copain-copain, mais ça ne
m’empêche pas de sentir. Je me suis mis une idée dans la tête * qu’il est
jamais trop tard pour devenir un type bien. Vous croyez que je suis
dingue ?
— Non. C’est à peu près pour les mêmes raisons que je suis venu
ici moi-même. Comment je le vois ? Quand vous tendez une couverture
très fine devant une fenêtre, le soleil continue à passer à travers, non ?
George Potter le fixe avec des yeux plus alertes, soudain, et Jack
n’a pas besoin d’achever son explication, ce qui est bien. Maintenant
qu’il a trouvé la bonne longueur d’onde - il y arrive toujours, c’est un
don qu’il a -, il est temps de passer au vif du sujet.
— Vous savez pourquoi vous êtes enfermé ici ?
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