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BIENVENUE AU PAYS DES RAVINS
Bracelet de montre couleur chocolat. Il n’y a rien de désobligeant à
révéler que leur passion est née au son des œuvres d’Allen Gins-berg et
de Gary Snyder beuglées par des ivrognes sur une sono de troisième
zone mais fabuleusement puissante.
Après s’être oxygéné les poumons encore une fois, Fred se met à
courir. L’Allée Robin des Bois, le Chemin de Lady Marian... Là, il
adresse un signe à Deke Purvis, qui, en peignoir et savates, ramasse sur
son perron sa dose quotidienne de turpitude à la Wendell Green. Arrivé
à Avalon Street, il accélère un peu, levant les talons vers le jour qui
commence.
Il ne peut pas distancer son inquiétude, cependant.
«Judy, Judy, Judy... », se dit-il en affectant la voix de Cary Grant,
une petite blague qui ne fait plus rire l’amour de sa vie depuis
longtemps.
Cette façon de marmonner dans son sommeil, ces mouvements
erratiques des yeux... Sans oublier la fois où, trois jours plus tôt, il l’a
suivie dans la cuisine. Et elle n’y était pas ; elle était derrière lui, en train
de descendre les marches. Bien plus que le « comment » de ce tour de
passe-passe, c’est le « pourquoi » qui le chiffonne : courir, remonter par
l’escalier de derrière pour revenir par celui de devant - c’est bien ce
qu’elle a dû faire, il ne voit pas d’autre solution... À quoi bon ? Et il y a
ces claquements, ces allées et venues de sa langue. La conclusion, il en
est conscient, c’est que Judy se comporte comme si elle était en proie à
la terreur. Et comme ça a démarré avant le meurtre d’Amy Saint Pierre,
la cause ne peut être le Pêcheur, du moins pas seulement...
Autre point accablant. Il y a quinze jours encore, Fred vous aurait
déclaré que sa femme n’avait pas une once de couardise dans le corps.
Elle n’est pas grande, non, un mètre cinquante-cinq en tout et pour tout -
« elle est pas plus longue qu’une minute ! » avait commenté la grandmère
de Fred le jour où elle avait rencontré la promise de son petit-fils -,
mais elle a un cœur de lion, le courage d’un Viking. Ce n’est pas du
baratin, ni une pose, ni une quelconque licence poétique mais une vérité.
Et c’est le contraste entre ce qu’elle était et ce qu’elle est à présent qui
l’effraie le plus.
Il s’engouffre dans Camelot Street sans surveiller la circulation au
carrefour, bien plus vite que d’habitude. Son rythme s’approche du
sprint plus que du jogging, désormais. Il vient de se rappeler ce qui s’est
passé environ un mois après qu’ils eurent commencé à sortir ensemble.
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