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TERRITOIRES
« Il a pris le gosse dans notre monde et il l’a emporté dans ce
monde-ci, Il l’a mis en lieu sûr, comme une araignée le fait d’une
mouche. Vivant ou mort ? Vivant, je crois. Je ne sais pas pourquoi,
peut-être parce que j’ai besoin d’y croire. Il l’a laissé, puis il est allé là
où il a caché Irma, il a pris son pied et il me l’a apporté. En traversant ce
monde-ci, avant de revenir basculer dans mon monde pour le laisser sur
mon perron. Et c’est en chemin qu’il a perdu le chapeau ? Par mégarde ?
»
Non, ce n’est pas ce que pense Jack. Il croit, lui, que ce salaud, ce
total sac à merde, l’a laissé là exprès. En sachant que Jack le trouverait
s’il empruntait cette route.
La casquette pressée sur son cœur comme un fan de football
écoutant l’hymne national avant le début du match, il ferme les yeux et
se concentre. C’est plus facile qu’il ne l’aurait cru. Il faut croire qu’il y a
des gestes qu’on n’oublie jamais une fois qu’on les a appris : peler une
orange, rouler à vélo, basculer d’un monde à l’autre.
« Un ti’ gars comme toi a pas besoin de c’ mauvais pinard-là. » Il
entend la voix de son vieil ami Speedy Parker, avec une pointe d’hilarité
derrière les mots. La sensation de vertige revient le secouer. Un peu plus
tard, il surprend le bruit inquiétant d’une voiture arrivant sur la route.
Un coup de klaxon. Le rétroviseur d’une vieille Ford manque le
nez de Jack Sawyer d’à peine trente centimètres. Un souffle d’air chaud,
chargé d’une odeur fugace d’hydrocarbures, lui saute au visage en
même temps que l’exclamation indignée d’un jeune pécore.
— ... fous sur la route, conaaaard ?
— Désagréable, d’être traité de connard par un expert en fumier,
relève Jack dans une de ses meilleures imitations de Richie, complétée
d’un « bêêê » outragé, mais son cœur bat la chamade.
La vache, il a failli basculer juste devant ce type !
— S’il te plaît, Jack, fais un peu attention à moi ! se plaint
Richard. Tu es en plein rêve, et voilà.
Malgré sa stupéfaction, il reste en Jack un noyau de lucidité intact
qui le laisse convaincu du contraire. Ne serait-ce qu’à cause de la
casquette de base-bail qu’il a toujours dans la main. Celle de Ty
Marshall. Et, par ailleurs, il a devant lui le pont sur la Tama-rack ; dans
le monde où des lapins géants bondissent sous vos yeux, il a franchi
peut-être deux kilomètres, mais, dans notre monde, il en parcouru au
moins huit... C’était comme ça, au temps où Jacky-boy
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