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TERRITOIRES
33 tours en folie d’un souple geste du poignet. La foule le salue d’un
nouveau « ooooh » extasié.
— Bienvenue, bienvenue, marlous et gisquettes... C’est la voix
sereine, un peu distanciée, du vrai présentateur de la fin des années
1930, de ceux qui commentaient les concerts en direct de boîtes de jazz,
de Boston à Catalina. Us avaient du miel dans la gorge, ces hérauts de la
nuit, et le rythme dans le sang. Alors dites-moi, dites-moi, doudous,
vous connaissez un meilleur moyen de lancer une soirée de swing que
Mr. Glenn Miller ? Allez, mes frères, mes sœurs, donnez-moi un
yeeeeah !
Un chuchotement convaincu monte de l’assemblée des
pensionnaires de Maxton, dont certains sont déjà sur la piste tandis que
les autres restent cloués dans leurs fauteuils en des postures diverses qui
expriment la stupéfaction ou l’absence. C’est moins un cri de fêtards
qu’une bourrasque d’automne dans les branches dénudées. Avec un
sourire de requin, Symphonie Stan élève les mains devant lui comme
pour contenir une multitude déchaînée, puis pivote sur lui-même et se
déhanche tel un danseur du Savoy sur du Chick Webb. Les pans de sa
redingote sont des ailes, ses chaussures miroitantes volent, se posent, et
revoient. Le temps s’enfuit. Soudain, deux disques tourbillonnent sur
chacune de ses paumes, l’un pour se loger dans sa pochette, l’autre
tombant gracieusement sur la platine.
— Alors d’accord, d’ac-cœur, d’accoracœur, poulettes et
rouflaquettes, voici venir le Gentleman sentimental, Mr. Tommy
Dorsey, donc, sortez votre porte-monnaie et attrapez votre tendre moitié
tandis que Dick Haymes voix-de-velours, l’Argentin héros des
faubourgs, pose la question qui rend sourd : « Comment pourrais-je
vivre sans toi ? » Frank Sinatra n’a pas encore fait son entrée, gomina et
costar cintré, mais la vie, chers frères et chères sœurs, la vie est quand
même bonne à zouquer !
Rebecca n’en croit pas ses yeux. Ce type a déjà entraîné
pratiquement toute l’assistance sur la piste, même des handicapés
moteurs, qui font aller leurs roues en tous sens au milieu des plus
valides. Dans son invraisemblable tenue, Symphonie Stan - Henry
Leyden, se corrige-t-elle - est à la fois désuet et époustouflant, absurde
et magistral. Il est comme... une machine à remonter le temps, plongé
dans son rôle mais aussi dans ce que ces vieux voulaient entendre. Sa
magie les ramène à la vie, au peu de jeunesse qui restait en eux.
Incroyable : il n’y a pas d’autre mot. Des gens qu’elle avait catalogués
comme vieux tromblons
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