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LE RAVISSEMENT DE TYLER MARSHALL
en remplace une autre, sans heurt : Judy Marshall est maintenant une
femme épuisée aux cheveux en désordre, qui le fixe avec insistance au
milieu d’un asile d’aliénés. Mais au lieu de le soulager, de lui rendre ses
esprits, cette mutation lui fait l’effet d’une sorte de tour de passe-passe
qu’elle aurait accompli intentionnellement, dans le seul but de rendre la
rencontre plus facile pour Jack. Quand il retrouve la parole, ce qui sort
de lui est aussi banal qu’il l’avait redouté.
— Moi aussi, Mr. Sawyer, je suis ravie de faire votre
connaissance. J’ai tellement entendu de compliments à votre sujet...
Il guette un sous-entendu sur ses traits, mais il n’y a que le sourire
chaleureux. Celui-ci, pourtant, pourrait signifier que, oui, elle a
conscience du choc survenu.
— Comment ça se passe, ici ? demande-t-il pour reprendre la
main.
— Ce n’est pas une compagnie facile, mais ces gens ont
simplement perdu leur chemin, voilà tout. Il y en a de très intelligents.
Les conversations sont plus intéressantes qu’à la paroisse ou aux
réunions de parents d’élèves. J’aurais peut-être dû venir plus tôt au
pavillon D, vous savez ! Cela m’a aidée à apprendre des tas de choses.
— Lesquelles, par exemple ?
— Qu’il y a de nombreuses façons de se perdre, par exemple, et
que c’est plus facile que ce que la plupart des gens admettent. Ici, on ne
peut pas dissimuler ses émotions. Ceux qui sont là n’ont pas trouvé le
moyen de faire face à leur angoisse.
— Et comment on fait face, d’après vous ?
— En allant de l’avant, voilà comment. Il ne suffit pas de dire : «
Je suis perdu et je ne connais pas la route pour revenir. » Il faut
continuer, un pied devant l’autre, jusqu’à se perdre totalement. Tout le
monde devrait savoir ça. Surtout vous, Jack Sawyer.
— Surtout m... ?
Brusquement, une vieille femme au doux visage ridé effleure son
épaule et l’interrompt.
— Pardonnez-moi, dit-elle, le menton baissé comme une enfant
timide. Je voulais vous poser une question. Est-ce que vous êtes mon
père ?
Jack lui sourit.
— Laissez-moi d’abord vous en poser une, à vous : est-ce que
vous vous appelez Estelle Packard ?
Elle hoche la tête, ses yeux soudain illuminés.
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