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TERRITOIRES
— Oui.
— Rire comme des fous.
— Oui.
— Comme des tamals.
— Oui.
— C’est une autre langue que je parle, là ?
— Oui.
Dans ses yeux bleus, il voit qu’elle ignore ce que pourrait être une
autre langue mais que, pourtant, elle comprend exactement ce qu’il veut
dire.
— Sophie ?
— Oui.
— Sophie, Sophie, Sophie...
S’imprégner de sa réalité. Se la rentrer dans la tête. Cette fois, un
vrai sourire illumine la bouche féminine et Jack a tellement envie de
l’embrasser que ses genoux faiblissent. Il a quatorze ans, à nouveau, et
se demande s’il osera donner un baiser d’au revoir à sa nouvelle amie,
devant chez elle, après l’école.
— Oui, oui, oui. Une pause. Ça y est, vous êtes là ? Comprenezvous
que vous êtes là ? Et de quelle façon vous êtes venu ?
Tout autour de lui, des draps immaculés se gonflent et claquent,
des courants d’air taquins se disputent son visage, lui font prendre
conscience qu’il est arrivé de l’autre monde couvert de sueur et qu’il ne
sent pas bon. Sans cesser de contempler la femme, il s’essuie le front et
les joues d’un bras.
Ils se trouvent sous une sorte de tente immense, fractionnée en
maints espaces. Elle lui rappelle vaguement le Pavillon où la Reine des
Territoires, la gémelline de sa mère, attendait la mort. Mais alors que les
toiles du Pavillon étaient richement colorées, chargées d’encens et d’un
parfum de deuil, tant le décès de la Reine semblait aussi inévitable que
proche, celles-ci sont uniformément blanches et déchirées, usées au
point que Jack peut apercevoir à travers le flanc d’une colline qui
s’incurve vers sa vallée, parsemé d’arbres. Quand la brise s’élève, des
pans de tissu flottent devant les interstices. Il distingue une ombre
marron, très haut au-dessus de lui. Une sorte de croix.
— Jack? Vous comprenez comment...
— Oui. J’ai basculé...
Ce n’est pas le terme qui est sorti de sa bouche, mais plutôt
quelque chose comme : «J’ai pris la route de l’horizon. »
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