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[L'Assassin Royal 2]L'assassin du roi

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et si elle avait péri. Il fallait que je le sache, que je sache si elle<br />

était morte et, dans ce cas, comment. Jamais il ne m’avait paru<br />

plus crucial de savoir quelque chose.<br />

Le fou se tenait accroupi sur le tapis comme un crapaud<br />

blafard. Il s’humecta les lèvres et me sourit. La douleur parfois<br />

peut arracher ce genre de sourire à un homme. « C’est une<br />

chanson de réjouissance que l’on chante sur Vasebaie, dit-il.<br />

Un chant de triomphe. Car les villageois ont gagné ; oh, ils<br />

n’ont pas conservé la vie, mais ils ont obtenu de mourir<br />

proprement. Enfin, de mourir, en tout cas. La mort plutôt que<br />

la forgisation. C’est un moindre mal, un moindre mal qui aura<br />

valu qu’on en tire une chanson à laquelle se raccrocher en ces<br />

jours sombres. C’est ainsi que ça se passe dans les Six-Duchés,<br />

aujourd’hui : nous tuons les nôtres pour prendre les Pirates de<br />

court, et puis nous en faisons des chansons. Etonnantes, les<br />

consolations qu’on peut trouver quand il n’y a plus d’espoir. »<br />

Ma vision s’estompa et je compris soudain que je rêvais.<br />

« Je ne suis pas ici, dis-je d’une voix faible. C’est un songe. Je<br />

rêve que je suis le <strong>roi</strong> Subtil. »<br />

Le fou tendit la main devant les flammes et contempla les<br />

os qui se dessinaient clairement à travers la chair translucide.<br />

« Si vous le dites, mon suzerain, il doit en être ainsi. Dans ce<br />

cas, je rêve moi aussi que vous êtes le <strong>roi</strong> Subtil. Alors, si je<br />

vous pince, vais-je me réveiller ? »<br />

Je regardai mes propres mains. Elles étaient ridées et<br />

couturées de cicatrices. Je les refermai ; j’observai les veines et<br />

les tendons qui saillaient sous la peau parcheminée, je perçus<br />

la résistance de mes articulations enflées, comme si des grains<br />

de sable s’y étaient glissés.<br />

Je suis un vieillard, me dis-je. Voilà donc ce que c’est d’être<br />

vieux. Non pas malade, avec la possibilité de guérir un jour,<br />

mais vieux. Lorsque chaque jour ne peut être que plus difficile,<br />

que chaque mois ne fait que peser un peu plus sur le corps.<br />

Tout dérapait. Un instant, j’avais cru avoir quinze ans. Je sentis<br />

une odeur de chair carbonisée et de cheveux grillés. Non, un<br />

somptueux parfum de ragoût de bœuf. Non, l’encens vulnéraire<br />

de Jonqui. Les effluves mélangés me donnaient la nausée. Je ne<br />

savais plus qui j’étais, ni ce qui était important. J’essayai<br />

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