Activités agricoles et changements sociaux dans l'Ouest Mossi ...

FORMES PARTICULIÈRES D’ORGANISATION DU TRAVAIL 117
En même temps que se répandit l’habitude de servir nourriture et bière de mil à chaque sosougu,
même aux invitations de culture les moins importantes, on en vint à distribuer des cadeaux. Le cultivateur
pauvre offre à ses invités des noix de kola et du tabac indigène. Les cultivateurs riches, les
anciens militaires, les commerçants, les chefs, les fonctionnaires et les hommes politiques doivent
offrir des produits plus valorisés: des cigarettes, des boissons alcoolisées d’importation, et même de
l’argent r. L’invitation de culture devient une opération de prestige. Elle perd progressivement ses
fonctions originelles, essentiellement relatives à l’entraide pour la production des biens de subsistance.
L’importance du facteur travail s’estompe, ainsi que l’enjeu de solidarité. La (( capacité N politique et
économique de lancer une invitation de culture et le profit personnel que chacun espère en tirer
priment les considérations relatives à l’entraide. Il en résulte que les paysans pauvres, et à plus forte
raison les femmes, n’ont plus la possibilité d’organiser des sosose pour la culture de leurs champs.
En effet, le coût de ces réunions est de plus en plus élevé. En considérant que ces séances d’entraide
sont souvent supprimées ou interrompues par le mauvais temps, et que la qualité du travail laisse
parfois à désirer, de nombreux cultivateurs estiment que le coût des sosose est presque aussi élevé
que le coût de la main-d’oeuvre salariée a.
C) LES INVITATIONS DE CULTURE DES FONCTIONNAIRES ET DES HOMMES POLITIQUES.
Lors des invitations de culture des fonctionnaires et des hommes politiques, la recherche de
prestige est généralement primordiale. Le travail fourni à l’occasion du sosoaga est souvent d’un coût
plus élevé que le travail salarié - en particulier, quand il s’agit,d’une séance de culture consacrée
au mil. Certains fonctionnaires et les hommes politiques se trouvent dans l’obligation morale d’organiser
dans leur localité d’origine au moins un sosoaga somptueux par an, sous peine d’être accusés de
cupidité par leurs parents et leurs voisins. Une telle invitation est avant tout une fête, où une partie
apparemment importante des biens de l’individu considéré comme trop riche est consommée. De
cette façon, le fonctionnaire ou l’homme politique, habituellement loin des siens, maintient les liens
qui l’attachent à sa communauté natale ; et tout en rehaussant son prestige, il justifie sa réussite.
Par la médiation de cette fête, la réussite dangereuse de l’individu est consacrée et assumée sur le plan
social. A l’occasion de tels sosose, il n’est pas rare que soit tué un bœuf; les cultivateurs fument des
cigarettes et boivent de la bière européenne et du vin. Pour accroître l’éclat de la fête, les promoteurs
de ces sosose peuvent inviter leurs amis fonctionnaires ou politiciens ; dans ce cas, c’est le whisky qui
doit être servi au vu et au su de tous les assistants 3. Des musiciens et des chanteurs sont invités pour
louer la générosité de celui qui finance la fête ; et dans toute la région, la rumeur colporte la liste des
biens qui ont été consommés. La popularité que les politiciens retirent de ces fêtes est immédiatement
convertible en puissance politique.
Les individus qui ont une position sociale prééminente sont contraints à rechercher d’abord
le prestige en organisant des invitations de culture. Certains sacrifient à cette recherche toute autre
considération. Nais d’autres tentent d’y trouver en même temps un profit économique. Comme les
cultures de subsistance ne sont pas en mesure de rentabiliser économiquement les dépenses effectuées
à l’occasion de ces sosose, un nombre croissant de fonctionnaires et d’hommes politiques lancent leurs
invitations pour des cuhures de rapport (création de vergers ou de rizières, riziculture ou travaux
sur champs de coton).
1. La même évolution a été observée dans la région de Ouagadougou. Cf. Société d’Aide Technique et de Cooi>ération,
1963 (p. 3 1) : (< Le caractère d’entraide de l’invitation s’estompe quelque peu depuis plusieurs années. Le désir
d’augmenter le pouvoir d’achat en fait dé plus en plus une location onéreuse de main-d’œuvre [. . .]. Les travailleurs ne
se contentent plus d’être nourris, mais demandent du tabac, de la kola, de l’argent (100 F par jour, par exemple). »
2. II faut toutefois noter que les dépenses monétaires effectuées à l’occasion des invitations de culture restent
faibles. Les produits consommés sont en majeure partie des biens de subsistance prélevés dans le grenier ou dans le
troupeau du cultivateur qui invite.
3. Le whisky joue un rôle considérable dans les relations sociales au niveau de ce qu’on appelle communément
les élites. Cet alcool est le symbole de la réussite politique et économique.