Activités agricoles et changements sociaux dans l'Ouest Mossi ...

220 ACTIVITÉS AGRICOLES ET CHANGEMENTS SOCIAUX DANS L’OUEST-MOSSI
lunettes solaires, des sandales en matière plastique, des habits bon marché, etc. ; quelquesuns sont
employés comme vendeurs dans des maisons de commerce gérées par des Européens, et plusieurs
migrants pratiquent le commerce des volailles. Ce n’est qu’après une série de migrations fructueuses
qu’un migrant peut espérer créer une exploitation agricole, car une telle entreprise suppose d’anciennes
et bonnes relations avec des personnes établies depuis longtemps en Côte d’ivoire, et elle nécessite
quelques ressources.
A l’exception de ceux qui apprennent ou exercent un métier et de ceux qui pratiquent le
commerce, les migrants ne retirent de leurs occupations en Côte d’ivoire aucune formation professionnelle
qui puisse leur être utile à leur retour. L’entretien des plantations en forêt ne présente
guère de points communs avec la culture des mils sur terres sèches.
d) LES MOTIVATIONS.
Chercher de l’argent pour payer l’impôt et acheter des produits de subsistance au moment
de la soudure est le motif le plus souvent invoqué pour expliquer les départs en migration. Allégué
pour justifier 27 % des départs, ce motif constitue de fait une cause réelle et fréquente de migrations ;
mais il sert aussi de prétexte à des jeunes gens qui n’osent pas avouer les véritables raisons qui les
poussent loin de leurs familles. Le quart des migrants expliquent leur départ par le désir de s’enrichir
pour « être plus à l’aise )) et gagner en importance sociale; beaucoup d’entre eux estiment qu’ils ne
peuvent acquérir quelque prestige devant leurs camarades et surtout aux yeux des filles qu’à condition
d’avoir « réussi » en Côte d’Ivoire l. Les lunettes solaires, les habits en tergal et les postes à transistors,
qui jouent un rôle considérable dans la société des jeunes, sont l’apanage de ceux qui reviennent de
la Côte. Un peu plus du cinquième des migrants déclarent s’en aller pour se procurer l’argent nécessaire
à l’achat d’une bicyclette: ce motif est fréquent chez les jeunes gens de moins de vingt ans qui
partent pour la première fois. La bicyclette est par excellence N l’instrument 1) des relations sociales
entre jeunes : elle permet de se rendre rapidement et sans fatigue aux fêtes et aux marchés, d’y emmener
des filles et d’en chercher pour la nuit - ces relations revêtent une grande importance du fait que les
jeunes gens sont condamnés à un célibat prolongé ; d’autre part, la bicyclette est utile pour les déplacements
vers les champs éloignés durant la saison agricole. Le désir de gagner de l’argent pour monter
un petit commerce - de sel, de noix de kola, ou de pièces détachées de bicyclettes - est invoqué
pour justifier 5 % des départs en migration. Un peu plus de 3 % des migrants partent au loin pour se
faire soigner d’une maladie - notamment de maladies des yeux. Un migrant sur dix invoque, comme
motif de départ, une mésentente au sein de la famille. L’intention de changer momentanément de
mode de vie à la suite d’une contrariété ou d’une grave épreuve - interdiction de créer sur les terres
familiales une exploitation autonome, évasion ou décès d’une épouse - est présentée comme motif
de migration dans 8 % des cas. Enfin, plusieurs hommes se sont enfuis en Côte d’ivoire pour garder
une femme enlevée.
En partant pour la Côte d’ivoire, le .jeune migrant recherche d’abord une expérience de vie
riche en possibilités nouvelles sur le plan matériel et culturel; une expérience libératrice des rigides
contraintes que lui impose dans son pays natal une société d’autant plus stricte que la nature y est
indigente. C’est une conception de l’homme et de l’avenir qui, en profondeur, se trouve en question.
Le migrant se place dans la voie de la réussite, tandis que celui qui demeure au pays reste dépourvu
de ces biens qui assurent le prestige et facilitent l’accès aux femmes 2. Le cadre de vie offert dans l’enclos
1. « Le grand voyage vers Abidjan est une façon de s’affirmer aux yeux des autres et de soi-même [. . .I. Les
femmes sont censées préférer épouser des hommes revenant de la basse côte, ce qui est peut-être lié à des raisons très
matérielles D, IZARD-HÉRITIER et IZARD, 1959 (p. 109).
Cf. aussi HOFFMAN, 1957 (p. 52), et Périmètre de restauration..., s.d., (vol. II, p. 33).
2. HOCHET, 1964 (p. 19), souligne que la K conscience qu’ont les jeunes paysans de leur impuissance à améliorer
leur niveau de vie dans leur cadre d’origine est augmentée par la différence énorme entre l’équipement social et économique
de la ville et celui de la brousse. »
Les migrations saisonnières, plus fréquentes dans le sud du pays mossi, sont moins prestigieuses que les migrations
de longue durée. Cf. SKINNER, 1960 (p. 283) : « Migration itself brings little lasting prestige [. . .]. The men who go
away are not considered brave but poor. ))