Activités agricoles et changements sociaux dans l'Ouest Mossi ...

LES MODALITÉS DE LA PRODUCTION AGRICOLE 69
En outre, plusieurs de ces petites unités, de création récente, n’ont que des terres peu fertiles, ce
qui les oblige à cultiver des superficies plus étendues. Mais étant donné l’importance de leur personnel
et le volume global de leur production, les unités de production nombreuses sont toujours
assurées d’une marge de liberté plus grande que les petites unités : elles ressentent moins le poids des
contraintes, et de ce fait elles sont moins portées à utiliser au maximum leurs forces de travail.
Si on examine la distribution des superficies moyennes cultivées par travailleur dans le cadre
des différentes unités de production, on s’aperçoit qu’elles sont assez groupées, hormis quelques cas
aberrants. Trois unités de production atteignent des moyennes nettement supérieures : dans deux cas,
il s’agit d’unités ayant bénéficié d’un apport important de travail extérieur en raison d’une prééminence
du statut social traditionnel des chefs d’exploitation l; la troisième unité de production est
celle d’un maquignon, boucher et cordonnier, individu dynamique et novateur qui, au mépris du
contrôle exercé par la collectivité sur la production, n’a pas craint de faire appel à une main-d’oeuvre
extérieure 2. Au contraire, deux unités de production se caractérisent par des moyennes nettement
inférieures : la première est gérée par un homme qui compte partiellement pour la subsistance sur la
générosité de ses deux frères cadets, anciens militaires de l’armée française, tous deux pensionnés 3 ;
et le chef de la seconde unité semble attendre davantage de ses talents de yuum~, chanteur et musicien,
que de ses capacités d’agriculteur 4. Les moyennes aberrantes étant écartées, les autres moyennes se
distribuent statistiquement selon la loi de GAUSS, les valeurs extrêmes étant 65 a et 1,45 ha par travailleur.
La représentation graphique de cette distribution s’exprime par une courbe en cloche caractérisée.
Environ la moitié des moyennes des superficies cultivées par travailleur sont comprises entre
79 a et 1,15 ha. Cette dispersion relativement faible autour de la moyenne générale -- 97 a - peut
être considérée comme significative.
Cette distribution met en évidence l’action d’une même cause principale et d’une multiplicité
de causes secondaires indépendantes, toutes les valeurs étant déterminées par des combinaisons
complexes mais peu variables de ‘ces causes ; cela se traduit par une répartition aléatoire des valeurs
au voisinage de la moyenne. En d’autres termes, les valeurs ne sont guère différenciées parce qu’elles
ne sont pas séparément commandées par des causes exceptionnelles. L’étendue des superficies
cultivées par unité de production correspond en règle générale d’une façon assez rigoureuse à la capacité
de travail disponible 5 - les besoins, les contraintes et les possibilités étant par ailleurs à peu près
identiques pour l’ensemble de la population.
Tous les cultivateurs cherchent à produire directement ce qui est nécessaire à leur subsistance,
y compris la valeur de l’impôt - la contrainte exercée à ce niveau par l’administration est d’ailleurs
parfaitement intégrée dans l’univers mental et Gconomique commandé par les impératifs élémentaires
de la subsistance. Quel que soit le statut social des cultivateurs, les biens produits sont peu variables
et forment un minimum rarement dépassé. Les contraintes qui empêchent les producteurs d’aller
au.delà de ce minimum vital sont diverses, la principale étant traditionnellement d’ordre sociologique.
La collectivité exerce un contrôle permanent sur ses membres, pour s’opposer à ceux qui seraient
1. Guiguemde Sidlaziri est le fils aîné de Guiguemdé Songa, maître de la terre et chef traditionnel de la localité
de Dakola; il est l’unique travailleur de son unité de production dont les superficies cultivées mesurent environ 4 ha.
Guiguemdé Yemdaogo est le fils de Guiguemdé Timbila, qui suit immédiatement Guiguemdé Songa dans la hiérarchie
lignagère et politique traditionnelle; les superficies cultivées par les deux travailleurs de l’unité de production de
Guiguemde Yemdaogo mesurent 5,70 ha, soit une moyenne de 2,85 ha par travailleur.
2. Ouedraogo Raga tente par tous les moyens de s’enrichir, sans tenir compte de la réprobation que suscite
son comportement. Les superficies cultivées par son unité de production, qui comprend deux travailleurs, mesurent
5,ll ha, soit une moyenne de 2,55 ha par travailleur.
3. Ouédraogo Ouambi dirige une unité de production de six travailleurs; les superficies cultivées mesurent
3,36 ha, soit 0,56 ha en moyenne par travailleur. Ses frères cadets, Péguedin et Ramaknaba ont des unités de production
plus entreprenantes parce qu’ils investissent une partie de leur pension militaire dans l’agriculture.
4. Ouédraogo Zissi gère une unité de production de six travailleurs ; les superficies cultivées mesurent 3,72 ha,
soit 0,62 ha en moyenne par travailleur.
5. Cf. les remarques de MEILLASOUX, 1964 (p. 90), à propos des Gouro de la Côte d’ivoire: (( L’hommeestla
seule force motrice. Producteur total, il occupe dans ces conditions une place écrasante auprès de 1aqJelle les autres
facteurs de production, les outils et même la terre n’apparaissent que comme des accessoire seconds de son activité. N