Activités agricoles et changements sociaux dans l'Ouest Mossi ...

174 ACTIVITÉS AGRICOLES ET CHANGEMENTS SOCIAUX DANS L’OUEST-MOSSI
à mesure qu’augmente le nombre de ses propres dépendants, femmes et descendance, qu’un homme
se libère des contraintes qui le soumettent à ses aînés sur le plan économique et social. Par le mariage
et surtout par la polygamie, il acquiert le contrôle d’une force de travail directement à son service
et qui s’accroît avec le temps; il rehausse son prestige, et il renforce son pouvoir social en tissant
autour de lui un réseau d’alliances par une politique matrimoniale dont ses filles lui fournissent les
moyens, par des échanges économiques - notamment échanges de main-d’œuvre à l’occasion des
séances de travail communautaire -, et par toutes les autres formes positives d’un commerce social
étendu. Si le contrôle de plusieurs épouses et d’une descendance nombreuse procure aisance, prestige,
et pouvoir (au niveau lignager), c’est la capitalisation des femmes par les hommes âgés qui peut
assurer l’autorité à ceux-ci et la permanence du système qui leur profite. Le pouvoir des aînés sera
donc d’autant plus étendu et plus fort que l’accès aux femmes sera plus difficile pour les jeunes
générations.
Les inégalités sur lesquelles se fonde la domination des aînés en matière matrimoniale engendre
à l’heure actuelle de graves tensions. En attendant de recevoir une épouse par l’intermédiaire des
anciens de leurs lignages, de nombreux jeunes hommes choisissent l’indépendance que leur offrent
les migrations lointaines. Mais un nombre croissant de célibataires passent outre aux règles du système
matrimonial établi: ils K volent » des femmes et s’enfuient avec elles - notamment en Côte d’ivoire.
Par ailleurs, les adultères se multiplient, entraînant de nombreuses querelles et des inimitiés durables
entre lignages r. Les contestations des modalités traditionnelles de l’accès aux femmes et du contrôle
des circuits matrimoniaux par les aînés, de plus en plus véhémentes, mettent en cause l’ensemble
du système économique et social: elles touchent aussi bien l’organisation de la production et de la
consommation que les fondements mêmes du système lignager.
Bien que les aînés voient leur autorité en matière matrimoniale bafouée par les jeunes qui
contractent des unions sans leur accord, ils tentent de conserver leurs prérogatives à tout prix et
sans partage. Dans d’autres domaines, les chefs de lignage ont délégué à leurs dépendants, ou sim.
plement abandonné, une large part de leurs pouvoirs ; mais, ils continuent à se montrer jaloux de
leurs droits relatifs au contrôle de la circulation des femmes 2. Aussi longtemps qu’ils restent en mesure
d’orienter les courants d’échanges matrimoniaux selon des stratégies définies en fonction de leurs
intérêts, ils demeurent maîtres du système social et économique établi.
Les formes courantes de mariage dans l’Ouest peuvent être réduites à quatre grands types.
Le mariage pug-siure 3 implique que la première fille de la femme donnée en mariage soit rendue à
titre de compensation matrimoniale au donateur: cela signifie que, le moment venu, ce dernier aura
le droit d’accorder en mariage à qui lui plaira la première fille de la femme qu’il a donnee. Ce type de
mariage est de loin le plus fréquent à Pilimpikou : il représente plus de 46 % de l’ensemble des mariages.
Un peu plus d’un mariage sur dix résulte du don d’une femme sans exigence de compensation
matrimoniale. Le quart des mariages sont contractés par consentement mutuel des intéressés, sans
que ceux-ci prennent en considération l’autorité des aînés et les obligations qui, éventuellement,
1. D’après SKINNER, 1960b (p. 388), il serait toléré que les jeunes hommes célibataires entretiennent des
relations sexuelles discrètes avec des femmes mariées; tel n’est pas le cas dans l’ouest du Mossi. Dans cette région, on
ignore également la pratique du (( rakirollé » décrite par IZARD : K Le rakirollé consiste dans le droit d’avoir des relations
sexuelles avec la femme d’un membre de son lignage en-dehors du segment de lignage localisé auquel on appartient.
Alors que l’adultere est une chose très grave, en ce cas un simple sacrifice dans le sanctuaire des ancêtres (kimsrogho)
du lignage (budu) clôt l’affaire >), Colloque sur les cultures uoltuiques-Soncbamp, 1967 (p. 176). Dans l’Ouest, les relations
sexuelles avec la femme d’un membre du lignage sont sanctionnées par l’expulsion du coupable hors du lignage.
2. L’autorité en matière matrimoniale appartient de droit aux chefs des lignages mineurs - les lignages mineurs
étant des groupes de descendance patrilinéaire d’extension et de profondeur genéalogique variables, ayant normalement
leurs propres autels d’ancêtres. Quand les membres d’une famille de chefs forment un même lignage majeur sous l’autorité
du chef régnant, mais sont par ailleurs constitués en plusieurs lignages mineurs, le chef conserve généralement le
droit de donner en mariage la Premiere fille de chaque ménage du lignage, tandis que le mariage des autres filles relève
de l’autorité des chefs des lignages mineurs.
3. La femme donnée en mariage pug-siure est appelée pug-siudga, et l’expression pug-siud biiga désigne l’enfant
qui doit être rendu au donateur de la femme. Par souci de simplification, seul le terme pug-siure sera retenu dans cette
étude pour désigner ce qui a trait à cette coutume.