Calvin / Jean Moura et Paul Louvet. 1931. - Bible et Rencontres

PREMIER SÉJOUR A GENÈVE 141
et Berne, ou l'évêque, ou le prince, et il n'hésitera
pas, un maître nouveau paraissant toujours préférable
à celui dont on a déjà fait l'expérience.
Pour l'instant, les Genevois sont encore pleins
de l'ivresse de se sentir libres, et comme ce sont
de gros et rudes hommes, ils ont plongé leur ville
dans la débauche. A la guerre succède toujours
la danse, et, après qu'on a tué, on aime avec
fureur. La loi est éternelle. Genève n'y échappe
point. Tous les carrefours ont des tréteaux. Partout
les musiques font sauter les gens. Les matrônes
y retroussent leurs jupons et cambrent le torse.
Dans les maisons les cires brûlent jusqu'à l'aube,
et l'on dit qu'il s'y commet d'abominables péchés.
L'adultère souille bon nombre de couches, les
ruisseaux sont pleins d'ivrognes, les tripots de
joueurs, et les marchés se traitent en pleine rue
avec les filles d'amour. On dirait que les Genevois
pressentent le régime de pénitence auquel ils vont
être soumis bientôt, et qu'ils veulent se payer par
avance de leurs futures privations.
Bilieux et noir, Calvin heurte du pied l'ivrogne,
respire l'odeur musquée de la fille de joie, voit
tourner les jupons des bourgeoises que le diable
a poussées dans le bal, et croit entendre sortir
des maisons les soupirs voluptueux d'abominables
ébats. Toute sa chair frémit de dégoût à se sentir
ainsi roulée dans le péché, et un accès de rage
le remplit d'une humeur acre.
Les hommes sont vêtus d'habits qui scandalisent
ses regards. Ce sont des " chausses chappelées »
dont l'étoffe fut tailladée en maints endroits, de
façon à laisser apercevoir la doublure, de couleur
opposée à celle du dessus. Les Genevois sont fiers
de leurs belles formes, et portent leurs pourpoints