Calvin / Jean Moura et Paul Louvet. 1931. - Bible et Rencontres

ESSAIS D'ORGANISATION 163
les fontaines ou en secouant les courtines de leurs
lits, elles échangent des réflexions touchant le
Français. Beaucoup ont l'humeur irascible et ne
ménagent pas le pasteur étranger qui prétend les
empêcher de danser et de s'attifer à leur guise.
Et partout, sur la place du Molard, sur le pont
où coule le Rhône rapide, dans l'île entourée de
ses eaux bleues, près de la tour de la Fusterie, il
y a des hommes vénérables qu'on entoure et qu'on
écoute parler avec un grand respect. Ce sont les
patriotes genevois. Ils ont combattu pour la
liberté de leur petite ville, et ils trouvent singulier
qu'un Français vienne leur donner des ordres et
transformer leur façon de vivre. Faut-il être un
vieux soldat blanchi sous le harnais, avoir combattu
les ducs et les évêques, pour retomber sous
la férule d'un mince étranger qui n'a jamais porté
le casque ni allumé la mèche d'un canon ? Où
était-il, ce pasteur chétif, cependant qu'eux, les
soldats genevois, la poitrine couverte de leur
armure blanche et le morillon en tête, ils défendaient
la cité entourée d'une redoutable ceinture
de petits châteaux féodaux qui crachaient leurs
boulets et précipitaient sur elle leurs hommes
d'armes tout bardés de fer ? Savait-il ce que c'était
que manier la pique, lancer la flèche, attendre de
pied ferme un cavalier au grand galop qui s'en
vient la lance en avant, s'embusquer, des nuits
entières, pour surprendre un ennemi et jurer de
mourir avec toute sa famille plutôt que de se
rendre à ses anciens maîtres ? Ils relèvent leurs
manches, ouvrent leurs pourpoints, découvrent
leurs blessures et rappellent leurs exploits. La
ville est toute pleine du souvenir des combats
qu'ils ont soutenus. Ils n'ont qu'à étendre le bras