Calvin / Jean Moura et Paul Louvet. 1931. - Bible et Rencontres

LE TRIOMPHE 309
brèche, et il apparaît alors si haut, si grand, que
les ennemis de Genève reculent, tout étonnés.
Mais quel vide en lui et autour de lui ! Son coeur
est un désert où hurlent les bêtes de proie toutes
prêtes à le dévorer, et sa chair une ruine qu'il
sent crouler sous lui. Toutes les maladies se sont
abattues sur ce vieillard qui n'a pas cinquante ans.
La goutte, la gravelle, la colique, la toux, les
hémorrhoïdes, la migraine se partagent ce misérable
corps épuisé de travail et de privations,
tels une bande de chiens affamés qui se sont jetés
sur un reste. Alors, n'en pouvant plus, il est la
proie de ses nerfs. Quand la crise est passée :
« Je vois, dit-il, que j'ai été plus véhément que je
n'en avais l'intention ; je ne sais comment, en
dictant, je me suis échappé à moi-même... »
« Indignement provoqué, j'ai été plus loin que je
ne voulais... L'importunité des hommes nous force
souvent d'aller plus loin que nous ne voudrions
(je ne l'éprouve que trop moi-même) et il ne peut
en être autrement : Je suis roulé dans de nombreux
tourbillons »... 1.
Calvin, en colère, ne ménage pas plus ses amis
que ses ennemis et Farel s'en désole. Il lui écrit : 2
« Je t'en prie, quand tu combats, à la maison,
avec des frères, ne fais pas une chose agréable
aux ennemis en invectivant les frères... Tu remplis
tes ennemis d'une grande volupté, d'une grande
joie, et ils triomphent en assistant à une lutte
si amère... »
Et Calvin reconnaît avec une grande sincérité :
" J'avoue que je suis irritable et bien que le vice
1. Lettre du 13 janvier 1556 à Bullinger.
2. Lettre de Farel du 3 juillet 1557.